Inside La Place – Aller au bout de ses convictions

Claire Lurton-Villars

Propriétaire

Rencontré par Gerda au Château

Château Ferrière

3ème Grand Cru Classé en 1855

Margaux


 

Gerda : Parlez-nous de vous…

Claire Lurton-Villars : Je suis spontanée, enthousiaste, positive, optimiste et passionnée. Je me dis souvent que je n’ai pas le droit de tricher. Je suis transparente pour les gens qui m’entourent. J’ai hérité de l’optimisme et du positivisme de mon grand-père Jacques Merlaut. J’aime m’engager même si j’ai des doutes et des découragements, il faut avancer dans la vie.

Gerda : Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés personnellement, dans la pratique de votre métier ?

Claire Lurton-Villars : Mon époux, Gonzague Lurton (propriétaire du Château Durfort-Vivens) et moi ne sommes pas très Bordelais. Nous avons beaucoup d’amis en dehors du vin. Nous avons beaucoup voyagé et vécu aux Etats-Unis (Claire et Gonzague sont propriétaires en Sonoma, Californie, de Acaibo). Nous voulons garder l’esprit ouvert, être précurseurs et marquer nos différences. Nous voulons retrouver une viticulture saine, faire le meilleur vin du monde naturel sans produits de synthèse : faire une viticulture qui a du sens et qui est liée au sol, à un sol vivant* (la notion de sol vivant recouvre un ensemble d’organismes en interaction les uns aux autres). C’est un vrai défi à Bordeaux car c’est très complexe à cause du climat et de la pression mildiou. Nous essayons de comprendre comment nous pouvons battre cette maladie au quotidien de façon naturelle.

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Les vendanges 2021

 

Gerda : Comment se sont passées vos vendanges? 

Claire Lurton-Villars C’était des vendanges d’une très grande complexité. Une des plus difficiles que j’ai connues. Nous avons eu du gel, de la coulure, il a fait froid, il y a eu beaucoup de pluie et de maladies. Cependant, lors des vendanges, un miracle s’est passé : le beau temps s’est installé ce qui a sauvé le millésime contre tout espoir.

Le résultat est un très bon vin qui est étonnant. Il est sauvé par le cabernet sauvignon qui a une formidable complexité. Nous n’avions jamais pensé obtenir cette qualité et cette maturité de tannins.

 


La marque Ferrière aujourd’hui et demain

 

Gerda : Quel(s) positionnement(s) souhaitez-vous pour votre/vos marque(s) ?

Claire Lurton-Villars Pour Ferrière je souhaite être, à terme, dans la même zone que Cantenac Brown, à savoir un tarif de 30 à 35 € en Primeur.

Je souhaite la même chose pour Haut-Bages Libéral. Je pense que cela sera plus facile à obtenir car il n’y a pas d’autre vin dans cette gamme de prix à Pauillac. De plus, cette marque est forte aux Etats-Unis.

Gonzague et moi avons pris la décision de quitter l’Union des Grands Crus (UGC) car nous voulions avoir une communication plus ciblée et concentrée sur nos démarches de conduite de nos vignobles. L’UGC est un bel outil mais nous avons à défendre nos spécificités et souhaitons expliquer et mettre en avant notre philosophie. Ils sont plus fragiles en Primeur à cause de la sensibilité à l’oxydation, cette dernière étant faite de façon naturelle. Ils ont des tannins plus élégants qui n’ont pas beaucoup de force. Les faire déguster à côté des autres vins n’est pas une bonne chose.

: Ferrière est en agriculture bio certifié Biodyvin depuis 2015, et en biodynamie certifié Demeter depuis 2018. Pourquoi vous avez fait ce choix ?

CLV J’ai fait un parcours de scientifique et je me suis toujours intéressée à beaucoup de choses. La science est un langage pour moi. Je me suis rendue compte que cela n’avait pas de sens, c’était même destructeur de mettre tous ces produits chimiques dans la vigne. Développer cet esprit critique m’a pris du temps. Anne-Claude Leflaive m’a beaucoup inspiré et je me suis orientée dans cette direction. En 2005-2006 j’ai fait des formations avec Dominique Massenot. De nombreux scientifiques comme moi, étaient aussi présents et cela m’a donné beaucoup d’espoir.

Pierre Masson, fondateur de « Biodynamie services », a été mon premier consultant à Haut-Bages Libéral (tout l’enclos soit 14ha sont en biodynamie depuis 2007). Il avait une approche pragmatique et scientifique qui m’a beaucoup rassurée. En biodynamie, il y a très peu de choix car uniquement des produits naturels peuvent être utilisés et c’est donc à l’homme de s’adapter face au terroir. Convaincre le personnel d’aller dans cette direction est le plus difficile parce qu’il faut sortir de sa zone de confort et cela peut provoquer des freins. Nous demandons à notre personnel beaucoup d’implication : notamment du temps et de la disponibilité. Le personnel doit souvent être présent les week-ends et les nuits et je suis très engagée avec eux. Cela me permet de ne pas les condamner en cas d’erreur. L’implication doit être totale pour tout le monde ! Je leur demande beaucoup et pour cela je ne fais aucune restriction de budget pour les matériaux dont ils ont besoin. C’est un très gros investissement pour la propriété.

Tout ce que je gagne, je le réinvestis dans mes propriétés. Je ne cherche pas l’argent et nous avons déjà transmis les propriétés à nos enfants, nous travaillons de façon libre avec des certitudes pour le bien-être de nos terroirs. Les certifications sont des engagements pour lesquels nous ne pouvons plus faire de pas en arrière. Je suis intimement convaincue que c’est la bonne solution. Il faut aller au bout de ses convictions même si nous prenons de gros risques. Nous sommes dans le partage et nous voudrions davantage de gens comme nous.

: Quels changements notables sur le vin sont dus à la biodynamie ? Et donc, en quoi vos vins se distinguent et sont uniques ?

CLV J’aimerais d’abord expliquer la différence entre un mode de conduite en agriculture bio et en agriculture biodynamique, car il y a un écart énorme entre les deux.

  • En bio, il est possible d’utiliser des produits transformés qui étaient à l’origine naturels et il est possible d’avoir une agriculture bio intensive, et même hors-sol comme il se fait beaucoup aujourd’hui pour les fraises et les tomates notamment.
  • En biodynamie, il faut bien sûr être bio, mais il est possible d’utiliser uniquement des produits naturels c’est-à-dire non transformés. C’est le sol qui va tout apporter et pour cela il doit être vivant. La vigne doit être en connexion avec son sol. Ce sol vivant, permet à la vigne de mieux se défendre contre les maladies et de donner de meilleurs raisins avec des tannins qui mûrissent plus vite : une maturité phénolique plus aboutie et des degrés d’alcool inférieurs.

Depuis que Château Ferrière est conduit en biodynamie nous constatons un vin avec davantage de complexité, plus de matières naturelles, plus de sels minéraux et des tanins plus mûrs. Le vin a une tension, un éclat et davantage de goût.

Lionel Ranjard (Directeur de recherche écologie du sol/agroécologie Institut National de Recherche Agronomique) a fait une étude afin de mesurer la richesse dans le sol. Entre la viticulture conventionnelle et la viticulture bio l’échelle est de 1 à 10 et entre la viticulture conventionnelle et la biodynamie de 1 à 20 !

: Laquelle de vos réalisations récentes aimeriez-vous faire partager à la clientèle ?

CLV : Nos projets en agroécologie et en agroforesterie. Nous investissons beaucoup dans ces deux domaines et nous finançons une société de conseil qui s’appelle « La Belle Vigne ». Ce bureau organise des conférences en ligne deux fois par mois. Des conférences sur le sol vivant, mais aussi pour trouver des solutions contre le mildiou. Dans les appellations communales du Medoc (Margaux, Saint-Julien, Pauillac et Saint-Estèphe) la plupart des vignes ont des densités parmi les plus élevées au monde (10 000 pieds/ha) ce qui rend l’entretien des couverts végétaux très difficile. Nous semons à l’automne des mélanges de graines afin de garder les sols couverts toute l’année.

Heureusement, nous avons fait des grosses révolutions avec les semis en regroupant nos forces. Gonzague et moi sommes vraiment dans le partage de l’information, car le partage d’expérience est essentiel en bio et en biodynamie !

Sur quels projets futurs travaillez-vous en ce moment ? (Techniques, marketing, ou commerciaux)

CLV Nous travaillons sur beaucoup de projets techniques, car la viticulture est un processus qui ne s’arrête jamais et qui est en développement constant.

Quant aux projets commerciaux nous avons beaucoup investi dans notre équipe depuis que nous avons quitté l’UGC, en embauchant 3 personnes dont un Directeur Marketing & Commercial : Arnaud Boutin. Il travaille sur toutes nos propriétés : Haut-Bages Libéral, Ferrière, La Gurgue, Durfort-Vivens et Acaibo.

Nous avons demandé à nos partenaires de la Place de Bordeaux de nous informer sur leurs circuits de distribution afin de connaître les grandes tendances autour de nos marques et de mettre en place des actions ciblées pour accompagner le marché et promouvoir nos propriétés.

Quels supports d’aide à la vente sont à disposition des distributeurs pour promouvoir vos vins ?

Arnaud Boutin Nous avons repensé entièrement les outils que nous mettions à disposition de l’ensemble de la distribution sur les deux dernières années.

Ainsi, nous avons développé nos discours produits, des présentations détaillées des propriétés, des photos de nos vins mais également des visuels saisonniers et d’occasions de consommation (le brunch, le barbecue, les fêtes de fin d’année, etc…). Notre souhait est d’encourager la mise en avant de nos vins auprès de nos clients et que nos distributeurs puissent s’amuser en créant de la saisonnalité et de la visibilité dans leurs lieux de vente ou bien auprès de leurs clients.

Nous avons également développé de nombreux accords mets & vins avec notre sommelière, afin que le client puisse se projeter dans la consommation de nos vins.

Dans la même lignée, nous avons également réfléchi à des recommandations de service, carafage, apogée du vin, etc. L’idée étant de fournir le maximum d’informations utiles pour le consommateur de nos vins et qu’il/elle vive un moment de dégustation des plus agréables.

La difficulté principale en tant que propriété viticole, est que nous ne possédons pas de point de vente en propre en dehors de nos châteaux. Nous essayons donc au maximum d’amener l’expérience de nos châteaux jusqu’au client final pour qu’il/elle partage avec nous ce moment d’émotion à la dégustation de nos vins.


Le commerce

 

Gerd: Quelles sont vos priorités en termes de développement commercial ? 

Claire Lurton-Villars 30 à 40% de la production de Ferrière est vendue en Europe et les plus gros marchés sont la Suisse et l’Allemagne. Les consommateurs de ces pays sont sensibles à la biodynamie et notre étiquette verte est vraiment en accord avec notre évolution ! Nous avons plus de 50 clients en Allemagne et une vraie visibilité dans ce pays. Nous espérons développer notre distribution dans le nord, avec des pays comme la Suède et le Danemark. L’appellation Margaux est importante en Chine mais nous aimerions atomiser davantage notre distribution dans ce pays. Nous devons développer aussi le Japon, Singapour et les Etats-Unis, mais notre problème est la quantité limitée, Ferrière ne compte que 24 hectares et 6000 caisses sont produites par an.

Quant à Haut-Bages Libéral nous avons une belle distribution en Europe et en particulier en France et en Belgique. Nous sommes très forts aux Etats Unis où nous vendons 30 à 40% de notre production chaque année. Les critiques Américains apprécient beaucoup Haut-Bages Libéral. Nous ne sommes pas assez distribués en Asie, il semble que les Chinois préfèrent l’appellation Margaux à Pauillac.

G : A quels millésimes le marché devrait s’intéresser ? et pourquoi ?

CLV : Ferrière 2018 ! Je l’adore car c’est le premier certifié Demeter et il reflète le changement de notre travail au chai. Nous avons utilisé beaucoup moins de soufre total car nous avons tout mis en place pour la protection de l’oxygène. Il avait été fait également moins d’extractions. C’est un millésime solaire qui a beaucoup de fruit et une grande buvabilité.

Concernant Haut-Bages Libéral je dirais 2014. A partir de ce millésime nous avons pu ré-augmenter les rendements à la propriété. La vigne avait retrouvé de la force. Le vin a des notes truffées et une très belle tension. Comme Ferrière, nous retrouvons une grande buvabilité. Il est aussi plus abordable que le 2015 !

G : Prévoyez-vous des sorties commerciales ou mises en marché dans un futur proche ?

CLV : Nous nous sommes concentrés sur la mise en marché de nos 2021. Je vends environ 90% de la production de Ferrière et de Haut-Bages Libéral en Primeur.

G : Avez-vous des stocks que nos clients pourraient travailler ?

CLV : Nous avons un tarif ex Château qui est plus élevé sur des millésimes récents que sur le marché à Bordeaux. Je préfère que nos partenaires négociants achètent et nettoient d’abord la Place de Bordeaux.

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La bouteille de coeur de Claire Lurton-Villars

 

Gerd: Si vous aviez une seule bouteille de cœur ? 

Claire Lurton-Villars Ferrière 2004 ! C’est l’année de la naissance de ma fille. Il est facile d’accès, opulent et généreux. Nous avons produit du volume sur ce millésime.

Haut-Bages Libéral 2018 : c’est un Haut-Bages Libéral qui a le charme que l’on attend de lui. Il est puissant mais c’est le bonheur en générosité. Grâce au terroir calcaire il est très sérieux et buvable. Il est solaire mais Il a un charme Bordelais fou malgré sa jeunesse.


Les vins dégustés

 

J’ai adoré cette interview avec une femme engagée mais terre-à-terre. Il n’est pas nécessaire d’arriver chez elle dans une voiture électrique du dernier modèle car le monde ne peut pas être changé du jour au lendemain, même si le temps presse. Claire garde les pieds sur terre avec ce côté pragmatique de la famille Merlaut et certainement l’optimisme de son grand-père Jacques, en sachant aussi que « si tu veux changer le monde commence par changer toi-même ».

La Gurgue 2021 : 54% cabernet sauvignon, 27% merlot, 19% petit verdot

Un vin qui sera délicieux à savourer dans sa jeunesse. Il a un joli nez élégant et le fort pourcentage de petit verdot lui donne une colonne vertébrale très agréable.

Ferrière 2021 : 81% cabernet sauvignon, 13% merlot, 5% petit verdot, 1% cabernet franc

J’adore ce millésime à Margaux car il réveille toutes les caractéristiques de cette appellation ! Il a un éclat raffiné et une belle maturité horizontale. C’est un vin qui se lance en bouche et qui revient ! C’est un mariage à trois : Ferrière, l’appellation Margaux et la biodynamie !

Haut-Bages Libéral 2021 : 90% cabernet sauvignon, 10% merlot

C’est le grand-père Jacques Merlaut qui a acheté la propriété en 1982 juste après le crash boursier. Comme Claire l’a dit, c’était un grand visionnaire. Le vin a un beau nez profond d’un cabernet sauvignon comme on aime à Pauillac. En bouche, il a beaucoup de gravité grâce à ce magnifique plateau calcaire. Il est long et jamais je n’ai dégusté un Haut-Bages Libéral avec autant de précision : Bravo !

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.