Nicolas Audebert
Directeur Général
En poste depuis 2014
Rencontré par Gerda au Château
Château Canon
1er Grand Cru Classé
Saint-Emilion
Château Rauzan-Ségla
2nd Grand Cru Classé en 1855
Margaux
Gerda : Parlez-nous de vous…
Nicolas Audebert : Je suis ingénieur agronome et œnologue de formation, j’ai travaillé pendant 15 ans dans le groupe LVMH : 5 ans en champagne et 10 ans en Amérique du Sud, puis j’ai retrouvé la France, Bordeaux.
Je me décris comme dynamique et entreprenant. J’aime la dualité de mon métier, à la fois agricole, terrien et international. J’adore être dehors, dans la nature, dans les vignes et au « campo ». Je n’aime pas être derrière mon bureau devant un tableau Excel. J’aime voyager et favoriser l’ouverture à l’international de notre production et de notre distribution. C’est formidable de pouvoir, à un moment, vinifier en Argentine et à un autre, vendre son vin à Tokyo pour les plus grandes tables au monde et rencontrer des gens vibrants et passionnants. C’est cette pluralité du métier qui m’anime. Je fais un métier à la fois ultra-traditionnel, la viticulture qui a une histoire de plus de 2000 ans, et à la fois tellement moderne, à la pointe de la technologie : il y a un grand écart entre les deux.
La dualité de ce métier existe aussi au niveau de mes collaborateurs : d’un côté, je travaille avec des vignerons, des locaux à vie sédentaire, intimement liée à leur lieu de naissance, à l’histoire des Châteaux, de leurs terroirs et de la nature en ayant une vie proche de la saisonnalité et d’un autre côté, je collabore avec une équipe de marketing et de communication, avec des journalistes, des clients du monde entier. L’antagonisme est énorme dans ce beau métier que j’exerce quotidiennement : c’est un patchwork étonnant et cela est enivrant.
Gerda : Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés personnellement, dans la pratique de votre métier ?
Nicolas Audebert : « Recréer tous les ans une surprise excellente et constante. » Il faut se réinventer tous les ans, le consommateur qui achète une bouteille de Rauzan-Ségla ou de Canon veut du Rauzan-Ségla et du Canon. Il faut surprendre sans rien changer et raconter une histoire tous les ans. C’est un défi de créativité. Bien sûr, cette multi-pluralité est une vraie richesse, mais aussi une source de complications, car on ne gère pas une équipe de vignerons de la même façon qu’une équipe commerciale.
Les évolutions climatiques sont aussi un défi. Comment pouvons-nous continuer à faire des vins précis ? Et comment puis-je faire développer mon business dans un monde qui est de plus en plus volatile ?
Château Rauzan-Ségla (gauche) et Château Canon (droite)
Vendange 2022
Gerda : Pourriez-vous me donner votre première impression des vendanges 2022 ?
Nicolas Audebert : Bien, je n’aurai pas misé dessus tous les jours! Le gel du printemps et l’été caniculaire et sec n’ont pas tout détruit : les raisins n’ont pas été trop mûrs et pâteux, ils ont eu du jus avec une belle tension. Il a fait chaud très tôt et le raisin a pu s’habituer et se protéger avec une pellicule épaisse. Il a pu se structurer dès le mois de juin et a, grâce à cela, une maturité sans excès. Globalement, les vignes sur les grands terroirs ont bien tenu et feront des vins magnifiques.
Les marques Canon & Rauzan Ségla aujourd’hui et demain
Gerda : Quel(s) positionnement(s) souhaitez-vous pour votre/vos marque(s) ?
Nicolas Audebert : Nos vins sont des marques adossées à une histoire forte. Dans le groupe Chanel nous sommes des passionnés, des gens honnêtes travaillant avec précision : ce qui est dit est fait et vice-versa. Tout cela contribue à la valeur de notre marque. Récemment, un rapport interne sur notre identité a été effectué : qui sommes-nous, quelles sont nos valeurs et quelle est notre façon de travailler ? Les mots qui reviennent à de nombreuses reprises, sont : la précision technique et la forte relation humaine. Nous sommes une équipe soudée et compétente.
Chanel nous permet de faire les choses bien et d’aller le plus loin possible : c’est leur philosophie d’exigence qui est basée sur le long terme. Cette recherche d’excellence est au service de nos terroirs afin qu’il s’exprime au mieux, c’est notre philosophie de viticulture : « the sens of place ». Mais il faut avoir de la fermeté dans le pilotage. Je compare notre travail avec un Jockey sur un magnifique cheval de course. Le cheval court, saute, mais sans le jockey, il ne peut pas gagner. Notre pilotage n’est pas un guidage forcé, il doit conduire à une alchimie entre le jockey et le cheval. Notre grand vin n’est pas le reflet d’une personne, il est un terroir, une équipe, une atmosphère, une sensualité : le vin doit être aimé, il est l’ivresse et la jouissance de la vie.
Grâce à Chanel, nous pouvons maintenir notre savoir-faire, et même aller plus loin. C’est une maison familiale qui a ses propres règles et ses lignes de conduite. Comme le disait Gabrielle Chanel, « la mode se démode, le style jamais ». Nous considérons que nous devons continuer à bien faire notre travail et à sauvegarder le patrimoine de nos vignobles.
G : En quoi vos vins se distinguent, et sont uniques ?
NA : Ils sont uniques parce qu’ils expriment ce qu’ils sont : vrais. Je vous donne un exemple. Une personne à 20 ans, peut être époustouflante par sa vivacité, sa jeunesse et son très beau physique, mais c’est l’honnêteté qui donnera du caractère à cette personne. Tandis qu’à 40 ou à 50 ans, à un certain âge, dirons-nous, ce sont nos défauts qui donnent du relief. Nos vins racontent cette histoire. Ils ne sont pas maquillés et ne sont pas faits pour des concours. Nous faisons comme nous pensons qu’il faut être. Château Canon plaît ou ne plaît pas. Nous sommes des vignerons, des vinificateurs et des révélateurs d’un endroit. Nos vins ont beaucoup de personnalité. Ce sont des vins vrais qui racontent. C’est comme de la photographie sans Photoshop.
G : Sur quels projets futurs travaillez-vous en ce moment ?
NA : A Rauzan-Segla, nous sommes en train de restructurer le vignoble. Cela était nécessaire du fait de son âge et de son état. Le patchwork de son terroir est très complexe et a besoin d’être régénéré. Parallèlement, nous réfléchissons à comment mieux se protéger contre le changement climatique. Cette réflexion est multifactorielle et concerne entre autres : le sol, l’eau, le palissage, les cépages, les porte-greffes… Cela implique une vision globale.
Nous avons mis aussi en place un grand projet de RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises) au sens large, Cécile Cazard mène ce projet. Elle est devenue notre Directrice Transformation Culturelle, après avoir été notre directrice commerciale. C’est une démarche qui nous tient à cœur. Nous faisons de très grands vins avec une désirabilité forte que nous ne vendons pas trop mal et nous gagnons de l’argent. Les gens boivent nos vins, certes, mais qu’est-ce que nous proposons pour demain ? Comment transmettre ? De quoi sommes-nous fiers ?
G : Où en est(sont) votre(s) propriété(s) en matière de « transition écologique » ?
NA : Nos 3 propriétés sont en conversion bio : Rauzan-Segla, Canon et Berliquet. Après plusieurs années d’essai et 2 ans en conversion, les 3 propriétés seront certifiées en 2024. Mais ce n’est qu’un début, car le bio ne règle pas tous les problèmes comme par exemple : notre bilan carbone interne, la contamination par le voisinage, les changements climatiques, la gestion de l’eau… Le bio est une étape incontournable, mais nous allons bien au-delà au quotidien, car seul ce n’est pas une solution miracle. Nous ne nous achetons pas une virginité verte en étant certifiés, et j’ai du mal à aborder ce sujet sereinement, car il est souvent excessif. Nous sommes convaincus et sincères de la nécessité d’être certifiés et de ne pas faire semblant, mais il faut prendre en compte de nombreux paramètres et avoir une vue globale de son environnement. En tout cas, vu notre position de grand crus classés, nous n’avons pas le droit de ne pas être exemplaire.
Le commerce
Gerda : Quelles sont vos priorités en termes de développement commercial ?
Nicolas Audebert : Notre chaîne de distribution est très éclatée. Nous avons 70 partenaires à Bordeaux et nos vins sont aussi bien distribués aux Etats-Unis, en Asie, en Europe, en Royaume-Uni, vraiment partout. Cet éclatement, nous va très bien et il continue de progresser. C’est une vraie volonté d’être éparpillé afin d’avoir une distribution stable et saine dans le monde.
Commercialement, nous souhaitons plus de visibilité, ce sont les lettres de noblesse du propriétaire de la maison Chanel. Nous voulons plus de présence dans la restauration et être présent sur les plus belles tables du monde. C’est beaucoup de travail d’approfondir sa distribution et c’est pour cela que nous avons besoin de partenaires de long terme qui nous aident à construire qualitativement.
G : Quels supports d’aide à la vente sont à disposition des distributeurs pour promouvoir vos vins ?
NA : J’ai deux commerciaux dans mon équipe : Jean-Basile Roland (Directeur Commercial) et Andréane Gornard (Directrice Export). Jean-Basile est en charge de la commercialisation sur la Place Bordeaux et de quelques pays à l’export. Nous souhaitons mieux connaître la distribution de nos vins par les partenaires de la Place sans faire d’ingérence. Nous sommes présents pour les aider. Nous voyageons tous les 3 pour promouvoir nos vins et mieux connaître les clients de nos partenaires.
G : Prévoyez-vous des sorties commerciales ou mises en marché dans un futur proche ?
NA : En septembre, nous avons fait une mise en marché du Château Canon 2016. C’est un vin emblématique pour nous et c’est une première mise en marché depuis longtemps. Nous ne pouvions commencer mieux, car c’est un millésime représentatif pour Canon. Je le décris comme électrique. Rauzan-Segla 2016 sera mis sur le marché dans quelques mois.
Je n’ai pas du tout de plan stratégique de mise en marché tous les ans en septembre. Nous vendons environ 70 % de notre récolte en Primeurs. Le reste, nous le gardons pour favoriser la profondeur de notre stock, pour servir lors de manifestations et pour faire un petit peu de business, pour animer le marché de temps à autre.
Je n’ai pas envie de jouer sur la spéculation. Tous nos prix correspondent au marché, car je souhaite donner de la marge à la distribution.
Site Internet et Instagram Rauzan-Ségla
Site Internet et Instagram Canon
La bouteille de cœur de Nicolas Audebert
Gerda : Si vous aviez une seule bouteille de cœur ?
Nicolas Audebert : Une de mes bouteilles de cœur est Krug 1928. Un des plus grands millésimes du siècle pour cette maison, associée à une anecdote amusante, qui en fait pour moi, un vin à part.
A l’époque, la Champagne fonctionnait de manière assez similaire au système bordelais des primeurs. Les principaux importateurs anglais avaient acheté ce vin, mais étant millésimé, il ne fut dégorgé et prêt à être expédié qu’en 1939. La seconde guerre mondiale avait démarré, et les anglais n’ont pas souhaité récupérer les vins tout de suite. On aurait pu croire que les allemands en auraient profiter pour piller les stocks …mais ce en fût pas le cas ! Même après la guerre, les anglais n’ont pas voulu du 1928, craignant qu’il ne soit trop vieux, lui préférant le 1937 en échange. C’est ainsi que Joseph Krug a sauvé les stocks de ce grand millésime… dans des volumes considérables, permettant aujourd’hui encore d’apprécier la longévité de ce vin.
Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.