Michel Rolland
Consultant oenologue
Rencontré par Gerda
Gerda : Il y a déjà beaucoup d’articles sur vous, mais pourriez-vous vous décrire en quelques lignes ?
Michel Rolland : Je suis né au Château Bon Pasteur à Pomerol et je suis modestement œnologue, c’est ce qui est écrit sur ma carte de visite. Mais la meilleure définition de mon travail est venue d’un journaliste qui m’a décrit comme « Flying Wine Maker » : j’ai été le premier et le seul à l’époque.
Château Fontenil, Bordeaux
Terroirs, Vignes et Chais
Gerda : A Bordeaux, 2021 fut un millésime relativement équilibré avec de l’humidité. Cette année 2022 a été extrêmement chaude et sèche et aura, sans aucun doute, marqué les vignerons Bordelais.
Quels sont les principaux défis techniques auxquels Bordeaux va être confronté dans les prochaines années ?
Michel Rolland : Je n’aime pas faire des pronostics ou des prévisions : nos hommes politiques le feront. C’est sûr, le réchauffement climatique est incontestable, mais je n’ai pas les moyens de faire des projections sur l’évolution du climat en 2050… 2100… Quand j’étais jeune, j’étais un amoureux de science-fiction et si vous reprenez toutes ces histoires des années 60 et 70, aucune prévision ne s’est réalisée, sauf celle de Tintin : oui, nous avons marché sur la lune. Je vois l’évolution du climat jusqu’à maintenant comme positive. Cette année, j’ai fait mes cinquantièmes vendanges, et depuis 2000 nous n’avons jamais fait autant de grands millésimes. Aujourd’hui, nous sommes arrivés à un moment où le changement climatique est favorable à la viticulture mondiale et quant à ce qui va se passer ensuite, c’est la grande question. Il y a de grandes chances pour que le processus ne s’arrête pas, mais il ne faut pas oublier qu’on connaît des régions viticoles qui sont beaucoup plus chaudes que les nôtres, et où on fait de grands vins, comme l’Australie et la Californie par exemple.
La première solution pour la vigne sera l’irrigation. Une deuxième solution peut être les nouveaux cépages sur lesquels nous travaillons déjà. Il faut assurer le futur du vignoble bordelais. Même si on ne peut pas imaginer un Petrus sans merlot et un Lafite Rothschild sans cabernet sauvignon, car nos Grands Vins sont une combinaison du sol, du cépage et du climat. Mais on peut envisager certains cépages plus résistants dans des zones sans distinction particulière. C’est à mon sens déjà un pas vers la bonne voie.
Gerda : En Europe particulièrement, le changement climatique est au cœur des discussions, comment les propriétés les plus prestigieuses devraient prendre en compte ces nouvelles préoccupations selon vous ?
Michel Rolland : On a plusieurs vies… À 50 ans on réfléchit différemment qu’à 25 ou à 70. C’est la même chose avec les changements. Quand j’ai commencé dans les années 70, nous avons fait beaucoup de chaptalisation qui a comme inconfort son coût. Mais nous étions obligés de le faire pour avoir plus d’alcool. Petit à petit, le climat a changé, avec plus de chaleur et d’ensoleillement et aujourd’hui, la question inverse est posée, comment diminuer le taux de sucre. Il y a deux réponses à cela : augmenter la charge des grappes par pied et augmenter la surface foliaire. Ce n’est peut-être pas des réponses idéales, mais elles peuvent permettre de tenir encore quelques années sans solutions radicales.
Gerda : Vous avez dit dans une interview : « Le vin est un produit de culture et de tradition, mais une tradition se doit d’évoluer. » Avez-vous aussi fait évoluer le style des vins pour lesquels vous intervenez ?
Michel Rolland : Une tradition qui n’évolue pas, est une tradition morte, comme la langue latine par exemple qui a disparu. Il faut bien sûr garder ces traditions, mais je ne suis pas « Wokiste » en matière du vin et j’ai évolué durant les 50 ans de ma carrière. Dans la viticulture, beaucoup de choses et de principes ont été changés, corrigés, recorrigés et revus. Et même si je ne veux pas parler d’un style Rolland car je fais du coaching, ce n’est pas moi qui fais le vin seul, cet accompagnement a évolué évidemment. Je me définis comme quelqu’un qui essaie de trouver le meilleur style possible pour le vin selon l’endroit où le domaine se trouve. Je consulte dans 23 pays et pour 70 domaines, il n’est pas possible de faire le même vin et de la même façon aux Etats Unis, en France, en Italie … Il faut adapter la technique à l’endroit où on se trouve.
Gerda : Pour un grand cru, le bio est-il obligatoire ? Ou chacun fait comme il veut ?
Michel Rolland : Je suis un libéral forcené. Tout ce qui est obligatoire me gêne : on réfléchit et on avance. Pour moi le bio est une arnaque, une façon de tromper les gens. Aujourd’hui, nous avons du shampooing bio, du savon bio… cela plaît à un certain public. Mais au lieu de faire du bio idiot, c’est mieux de réfléchir et de trouver le meilleur pour sa propriété, pour l’environnement et pour le produit.
Gerda : En 1982, 1990, ou même plus récemment en 2009 et 2010, les châteaux ont réalisé de beaux rendements et des vins exceptionnels.
Dernièrement, le sentiment prédominant est que cela n’est plus possible. Pour produire des vins d’exception, les propriétés sont-elles vouées à produire de faibles quantités ?
Michel Rolland : Regardons l’histoire : quand l’année 1982 est arrivée, nous sortions de 12 années de millésimes très moyens. Le dernier grand millésime avant 1982 était 1970. Entre temps, il y eu des millésimes comme 63, 68, 69, 72, 74 et 1980 qui n’apportaient pas grand-chose. On se doit en tant que professionnel de se poser la question « pourquoi et comment », est-ce possible qu’il y ait eu autant de millésimes de qualité médiocre ? Pour moi, les années avec une bonne production et avec une bonne qualité étaient extrêmement rares, sauf en 1982. Il faut prendre conscience de la gestion de sa production, mais en sachant que ce n’est pas la garantie absolue pour faire du bon.
Bodega Rolland by Michel Rolland, Mendoza
Propriété et marques
Gerda : Vous êtes plutôt spécialisé dans les grands vins, pensez-vous qu’il existe encore un avenir à Bordeaux pour les petits châteaux ?
Michel Rolland : Je suis consterné que la Place de Bordeaux ne sache plus vendre les Petits Châteaux et c’est pour cela que Bordeaux est en crise. On ne vit à Bordeaux qu’à travers les Grands Crus, ce qui n’est pas forcément mauvais. Oui, il y a un avenir pour nos « Petits Vins », mais uniquement s’ils deviennent de vraies marques. La preuve pour moi, c’est ce qui s’est récemment passé avec le Groupe Treasury Wine Estates (Penfolds) et leurs achats à Bordeaux. Ils ont eu comme idée de faire des vins de marques à Bordeaux, comme Mouton Cadet, qui n’a pas été le dernier a relancer la machine et redorer le blason des bordeaux accessibles. Si des grands groupes s’intéressent aujourd’hui à la marque Bordeaux, cela prouve que Bordeaux a encore un rôle à jouer dans le monde du vin. Penfolds est la marque la mieux installée, la plus forte dans le monde et elle a une puissance énorme. Je suis donc ravi de voir des nouveaux arrivants à Bordeaux. C’est phénoménal et il ne faut certainement pas s’inquiéter. D’autres grands groupes vont venir, comme Gallo par exemple, ils ont besoin de nous.
Mais c’est beaucoup plus compliqué pour les Petits Châteaux qui n’ont pas le support commercial pour valoriser leur marque. Pour eux, il faut souvent reconsidérer notre circuit de distribution, car on ne valorise pas un vin à 7,95 € sur l’étagère d’un supermarché.
G : Vous avez parcouru le monde et ses vignobles au cours de votre carrière, Bordeaux a-t-il toujours beaucoup d’atouts ?
Michel Rolland : Oui, regardez l’intérêt de ces grands groupes pour nos vins. Cela rejoint ce dont j’ai parlé auparavant.
G : Vous avez commencé votre carrière avec Robert Parker, qui est votre grand ami, mais que pensez-vous des systèmes de notation des vins aujourd’hui ?
Michel Rolland : Il y a un côté positif et un côté négatif.
Le côté positif est que les notations parlent aux consommateurs et peuvent donc les aider. Le monde du vin est complexe. Il existe une telle offre que le consommateur a besoin de repère, car il ne peut pas connaître ni déguster tous les vins.
Quant au côté négatif, le monde de la critique du vin a évolué d’une façon mercantile. Aujourd’hui, tout le monde s’installe comme critique du vin sans connaître réellement le vin, ni savoir le déguster, c’est une façon tellement facile de faire de l’argent : on visse sa plaque sur la façade, on fait un site internet, on demande 150 € d’abonnement et, avec 4 000 à 5 000 abonnées, on fait un chiffre d’affaires de 800 000 € par an. En plus, on a zéro frais, car on est logé et on fait les voyages gratuitement ! Pour moi, le système est sclérosé aujourd’hui. Il y a bien sûr des bons, mais essentiellement des mauvais. Je suis persuadé que le système des notations va évoluer ou s’autodétruire.
Il a été reproché à Parker d’être hégémonique, mais il ne faut pas oublier qu’il a beaucoup travaillé, il a été intègre et a eu un détachement par rapport aux propriétés. Cela n’existe plus. Quand je discute avec des journalistes, il n’y a plus de modestie, plus d’intelligence. Ils pensent qu’ils ont raison et c’est tout, quelle grave erreur…
G : La hiérarchie « qualité, désirabilité, et prix » entre grands crus bordelais vous semblent-elles encore ouvertes aux évolutions de nos jours ?
Michel Rolland : Oui. Pour les raisons suivantes :
Premièrement, j’ai constaté une grande évolution dans les vins de qualité tout au long de ma carrière. Aujourd’hui, nos vins n’ont jamais été aussi bons. La qualité de Bordeaux est au point le plus haut de la hiérarchie des Grands Vins.
Deuxièmement, nos prix sont plus élevés qu’il y a 30 ans, mais que vaut l’argent d’aujourd’hui ? Je peux vous citer une anecdote : je suis né au Château Bon Pasteur à Pomerol d’une famille de vigneron modeste, ni pauvre ni riche. Nous buvions les vins de la propriété et les autres vins de l’appellation Pomerol comme Vieux Château Certan (VCC) et Petrus. Des propriétés avec lesquelles nous faisions des échanges en vin. Le jour de mes 18 ans, j’ai demandé à mon père pourquoi nous n’avions jamais bu Cheval Blanc, qui est situé plus près de Bon Pasteur que VCC et Petrus ? Mon père m’a répondu qu’il fallait l’acheter et qu’il est trop cher. Le « Trop Cher » ne date donc pas d’aujourd’hui. Le prix n’a de la valeur que par rapport à un marché et à la valeur qu’on lui donne. Quant à Cheval Blanc, je peux vous dire que je me suis rattrapé après !
G : Selon vous, qu’est ce qui caractérise une propriété d’exception ?
Michel Rolland : La qualité de ses produits et la pérennité de sa réputation. Aujourd’hui, beaucoup de produits sont basés sur du « one shot » : vite et simpliste. Une propriété d’exception sait valoriser ses vins sur le long terme.
Site Internet et Instagram
La distribution aujourd’hui et demain
Gerda : Comment voyez-vous l’inflation des prix des plus grands domaines ces dernières années ?
Michel Rolland : Ces prix vont encore monter, car je crois beaucoup dans la dévalorisation de l’argent. J’ai suivi le dossier de la vente de Lascombes de très près car j’y suis toujours consultant. Il y a 6 mois, l’euro était à 1,18 $, aujourd’hui nous sommes autour de la parité. Le nouveau propriétaire a déjà gagné presque 20 % sur le taux de change pour cet achat !
G : A Bordeaux, nous avons un système très particulier de Place. Que pensez-vous de ce système ?
Michel Rolland : C’est le meilleur système au monde. J’ai parcouru les continents et je n’ai pas vu un autre système aussi performant. Mais il y a un inconvénient, les grands acteurs de la Place de Bordeaux ne sont plus des négociants, mais ils sont devenus des marchands. Ils ne font plus l’effort de vendre des vins qui ne se vendent pas. Ce n’est pas une critique, c’est un constat. C’est dommage que la Place ne cherche pas à promouvoir des Bordeaux à 8 €. Elle est uniquement intéressée par les vins célèbres.
G : Ces dernières années, nous avons constatés un intérêt du marché pour la commercialisation via La Place, de vins hors Bordeaux. Comment expliquez-vous cette tendance ?
Michel Rolland : La Place est maline. Elle est dominée par des marchands qui cherchent des marchés pour des vins chers, car il est plus intéressant de vendre un vin à 150 € qu’un vin à 8€. Le problème est simple. La Place est le meilleur système de distribution au monde. Mr. X de Napa arrive avec son vin qu’il souhaite commercialiser 400 € la bouteille, il donne une marge aux marchands qui ont déjà un marché pour ce type de produits et tout le monde est gagnant. La Place est capable de vendre des savons si elle trouve que c’est plus intéressant que vendre des bouteilles… des savons aux cabernets ou aux merlots, bien sûr !
Conclusion
G : Pour finir, avez-vous en mémoire des souvenirs de vins qui ont marqué votre vie de dégustateur ? Pourriez-vous nous décrire votre émotion ?
Michel Rolland : J’ai la chance d’être né en 1947 et d’avoir bu tous les Premiers de ce millésime exceptionnel. Cela a pris du temps de déguster ma première bouteille de Cheval Blanc 1947. Je n’ai jamais bu toutes ces grandes bouteilles tout seul. Je l’ai toujours fait avec des amis qui connaissent le vin, car il faut partager ces moments exceptionnels. A chaque dégustation, j’ai ressenti une émotion et ces moments vous remplissent de bonheur, d’enthousiasme et de plaisir. Dans l’ordre des vins que j’ai préféré, je place Cheval Blanc en n°1, Petrus en n°2 et Mouton Rothschild en n°3. Sans oublier Château Haut-Brion et Lafite Rothschild qui sont aussi excellent. Jamais je n’ai senti autant d’émotion à la fois dense et importante qu’avec le 1947. J’ai un regret…. je commence à être vieux, mais pas ces vins !
Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.