Jean-Michel Comme et sa femme Corinne
Comme Consulting
Consultants
Rencontrés par Gerda
Après Eric Boissenot, Thomas Duclos, Stéphane Derenoncourt et Axel Marchal c’était le moment d’interviewer Jean-Michel Comme. Il a été Directeur Technique du Château Pontet-Canet pendant 31 ans et a fait un très beau travail pour convertir le vignoble en biodynamie. Cette aventure bio/biodynamique a débuté en 2004. Le basculement total est intervenu en 2005 pour conduire à une certification en 2010. Château Pontet Canet a été le premier des Grands Crus Classés en 1855 à être certifié. Il a été précurseur dans cette démarche à Bordeaux. De nombreux Châteaux ont suivi, dont Palmer, La Lagune, Durfort Vivens, Haut-Bages Libéral, Ferrière…
Jean-Michel Comme a créé sa société de consulting en février 2021 et est épaulé par sa dynamique épouse Corinne, également consultante en biodynamie. Ils sont propriétaires d’un joli vignoble à Sainte Foy La Grande : Champ des Treilles. Corinne était aussi présente pendant l’entretien. La fibre biodynamique apporte une belle synergie entre eux.
Gerda : Parlez-nous de vous…
Jean-Michel Comme : Je suis un grand amoureux de la vigne.
Corinne rajoute spontanément : Jean-Michel a de la sève dans le sang. Il « vit » vigne. C’est toute sa vie.
Gerda : Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés personnellement, dans la pratique de votre métier ?
Corinne Comme : Il faut préciser que la démarche de consultant de Jean-Michel est une démarche globale en allant au-delà de la vigne. Nous mettons en place un véritable accompagnement des équipes. En effet, il n’est pas simple d’accepter le bouleversement majeur qu’implique la viticulture en biodynamie. Nous avons souvent face à nous, des personnes qui sentent un problème mais n’arrivent pas toujours à le définir, en tout cas elles recherchent le meilleur pour leur vignoble.
Jean-Michel Comme : Trop souvent, on nous a fait considérer le pied de vigne comme une simple machine à produire du raisin. Evidemment, c’est une vision fausse, au moins dans la production de vins de qualité. La vigne est un être vivant ; c’est toute la différence, ou la subtilité. Nous devons instaurer une autre relation avec la vigne (comme par exemple anticiper la maladie qui peut l’affecter), mais aussi autre relation avec les gens qui l’entourent : les vignerons, les commerciaux et les responsables marketing. C’est un écosystème interconnecté !
Par exemple, il ne faut pas attendre que le problème s’exprime. Il faut l’anticiper et appliquer une stratégie cohérente. Cette dernière est multifacette, en incluant même le rapport de l’humain à la vigne, son sol, à la ressource en eau, etc… Notre vision est globale en créant de la synergie entre les différents paramètres.
Gerda : Comment qualifiez-vous la personnalité que vous vous attachez à donner aux vins que vous consultez ? Y a-t-il un « style Jean-Michel Comme » ?
JMC : Non je ne veux pas imprégner ma signature. Chaque terroir est différent et doit être respecté en conséquence. Mon but est de servir l’endroit, et non me servir de l’endroit.
Gerda : Consultez-vous uniquement à Bordeaux ?
JMC : Non, dans le cadre de ma toute jeune activité, je consulte dans d’autres régions comme à Macon. C’est un beau projet sincère avec une vraie dimension humaine. Les clients sont surtout devenus des amis proches. C’est aussi le sens de mon engagement. Privilégier la relation humaine.
J’interviens aussi à l’étranger. Avant tout en Californie en collaboration avec mon fils Thomas. Nous y avons développé un savoir-faire pour s’affranchir totalement de l’irrigation.
Depuis un an, j’interviens en Arménie où le client, devenu lui-aussi un ami proche, a relevé le défi d’être le premier vignoble du pays sans irrigation. C’était une de mes conditions pour commencer cette aventure qui revêt donc une dimension civilisationnelle dans ce pays qui a tant souffert. Je suis fier du travail que nous y accomplissons !
Mon but est le même pour chaque vignoble : « transmettre un savoir-faire, donner la clé de lecture et de compréhension du vivant ». Je veux aider les personnes de manière à ce qu’elles deviennent autonomes et possèdent les outils pour choisir à leur guise le destin de leur vignoble.
CC : Il est très important de ne pas faire un «copier-coller». L’interaction est fondamentale avec l’endroit et ses responsables. Nous devons avoir cette proximité pour comprendre le domaine et ses éventuels problèmes. « Comprendre » est le mot clé car chaque endroit est différent. Jean-Michel et moi avons deux enfants, pourtant ils sont très différents. Pour les terroirs, c’est la même chose !
Le futur
Gerda : Vous étiez directeur technique de Pontet Canet pendant 31 ans, et un des premiers prescripteurs de la biodynamie à Bordeaux, quels évolutions notez-vous dans votre métier ?
Jean-Michel Comme : La gestion de l’humain devient de plus en plus complexe ainsi que la lourdeur administrative. Pour le vigneron, la part du temps consacrée au pied de vigne et au vin diminue inexorablement. C’est ainsi…
Une autre évolution majeure de la viticulture est le changement de l’opinion sur la biodynamie et le bio en général. Pourtant, la situation n’est pas aussi simple qu’on pourrait le penser.
D’une part, il existe un manque de maîtrise de la viticulture biodynamique. Trop souvent, cela se limite à appliquer les mêmes recettes partout et tout le temps, sans véritable lien avec le terroir, le cépage et le climat du moment. Cela nuit à l’efficacité et donc à l’acceptation par la profession ; car si parfois le résultat est bon, parfois il est mauvais, Il faut être capable d’avoir un esprit critique sur sa propre démarche. Le manque de maîtrise de la démarche, ou simplement la méconnaissance du raisonnement entraîne des déceptions et des lassitudes. La biodynamie n’est pas une fin mais un outil pour produire avec plus de sécurité une récolte de meilleure qualité.
D’autre part, la viticulture bio a connu un fort développement ces derniers années, mais l’utilisation seule de cuivre et de soufre est une réponse bien courte pour une vraie efficacité dans les années difficiles. Il ne faut pas le prendre comme une fatalité en intégrant de « nécessaires pertes de récolte ». Au contraire, il faut mettre en place les moyens pour que tout se passe bien. Pour cela, il faut travailler dans une vision globale. Cela nécessite d’intégrer systématiquement dans le raisonnement, le triptyque terroir-cépage-climat ; dont j’ai parlé précédemment. Chacun amène sa « personnalité » dans une situation donnée.
Le conventionnel et le bio considèrent la maladie comme la cause du problème. Au contraire, dans notre compréhension de la biodynamie, la maladie est une conséquence d’un déséquilibre de la plante. Il faut d’abord comprendre ce déséquilibre puis le régler en amont ; notamment avec des tisanes adaptées à chaque situation. Ensuite, tout devient plus facile !
Surtout, il n’y a aucune opposition avec la science plus « officielle ». Nous sommes capables d’expliquer un phénomène par les deux approches. Corinne et moi restons des vignerons biodynamiques, de formations scientifiques !
G : Comment les vignerons peuvent-ils se protéger contre le changement climatique ?
JMC : Le jour où les vignerons auront remis à jour leurs pratiques culturales, le premier pas dans le bon sens aura été fait ! Il faut commencer par balayer devant sa porte. Toutes les pratiques comme effeuillage, rognage, fertilisation, palissage, enherbement, (…) sont à réévaluer dans cette dimension… Il y a tellement de choses à modifier !
CC : Comme Jean-Michel le disait plus tôt, nous travaillons avec notre fils, qui est consultant en Californie. Son expérience dans cette région viticole nous a montré la nécessité de plus de parcimonie dans nos gestes. La question qu’il faut se poser tout au long de l’année est : « est-ce que nous avons vraiment besoin de faire ce geste ? »
La plante doit être prise en charge dans sa globalité. De plus il ne faut pas oublier que tout a un coût, pas seulement financier mais aussi pour les ressources issues de l’environnement et qui sont nécessaires à la plante ; comme l’eau par exemple. Nous adorons échanger avec notre fils, il y a une vraie synergie entre nous trois. Chacun a sa vision, sa personnalité et chacun apporte sa pierre à l’édifice et enrichit l’autre. Je peux vous dire que nous sommes heureux de contribuer chaque jour à une meilleur compréhension du vivant et nous faisons ce travail toujours avec plaisir !
G : Quels sont les cépages du futur à Bordeaux ?
JMC : Ce sont nos cépages majeurs actuels et peut-être des cépages « secondaires », comme le Malbec, la Carmenère par exemple. L’adaptation au climat est une chose mais l’adaptation au terroir en est une autre ; largement aussi importante. Ainsi, les cépages bordelais sont particulièrement adaptés aux terroirs bordelais. On n’est pas sûr d’avoir mieux ailleurs…
CC : Avant de penser au changement de cépages, il faut penser à la gestion de son sol, à son palissage et son rognage. Ce sont des gestes à revoir en premier avant d’avoir l’idée de changer de cépages. Si la décision de changer est prise, il faut être très sûr de son fait car il faudra des années avant de retrouver des vieux ceps et donc une production de qualité.… Donc, il vaut mieux réfléchir à deux fois…
G : Le Franc de pied – effet de mode ou réel intérêt ?
JMC : C’est un sujet qui nous intéresse depuis longtemps. Le Franc de Pied tout seul est en effet de mode. A quoi sert de planter une vigne quand l’issue est connue, elle va vraisemblablement mourir avant d’avoir atteint l’âge adulte car le phylloxera est toujours présent. Les pratiques viticoles doivent permettre à la vigne d’avoir une durée de vie acceptable pour atteindre une qualité suffisante. N’oublions pas que les vieux ceps sont à la base des grands vins…
Nous nous sommes surtout intéressés à l’origine de la contamination : pourquoi le phylloxera est arrivé. En Arménie, par exemple les vignes sont des Franc de Pied, pas de porte-greffe. La barrière de Caucase peut avoir joué un rôle de protection sur une période courte. Mais sur un siècle et demi, les échanges auraient permis la contamination ; ce qui n’est pas le cas. Cela laisse donc supposer qu’il y a certainement quelque chose dans le sol et/ou le climat qui permet cette « insensibilité » au phylloxéra. A partir du moment où le greffage a été inventé, il y a 150 ans, la recherche pour comprendre le phénomène de contamination s’est arrêtée. C’est un sujet passionnant et nous travaillons pour essayer d’apporter une solution pour l’avenir. On devrait pouvoir proposer des solutions dans un futur proche.
CC : Nous devons résoudre cette question : pourquoi le phylloxéra est arrivé et est devenu du jour au lendemain un gros problème mondial ? Tant que la réponse n’est pas trouvée, il n’est pas envisageable chez nous, de planter des Francs de Pied sans risque phylloxérique.
Il y a aussi le sujet de la reproduction sexuée de la vigne qui n’intervient plus jamais. Avant, les moines ou la nature effectuaient ce travail. Maintenant, ce n’est plus le cas et les choses sont devenues pires encore avec le clonage qui permet de multiplier à l’infini, un seul et même pied. Il y a sûrement une fatigue génétique de nos cépages actuels.
Le vin
Gerda : Que pensez-vous de la notation des vins ?
Jean-Michel Comme : A l’heure qu’il est, je trouve que la notation des vins est déjà dépassée. Les cartes sont rebattues avec les réseaux sociaux, les forums, les influenceurs… Les nouveaux prescripteurs, ce sont eux. Les consommateurs d’aujourd’hui attendent une démarche éthique, cohérente et respectueuse et, pas uniquement pour le vin et la vigne. Le vin qui est très bon mais pas fait sous des conditions éthiquement acceptables ne correspond plus aux consommateurs actuels, surtout lorsqu’il s’agit d’un grand cru. Nous pouvons même nous demander si la course à la technologie et à la consommation énergétique est toujours dans une nécessité pour faire du vin … On pourrait peut-être en profiter pour revenir à une relation plus simple, directe et moins désincarnée entre le vigneron, sa vigne et son vin.
G : Concernant 2018, 2019, 2020, Que pensez-vous de ces 3 grands millésimes de Bordeaux ?
JMC : 2019 est un bon millésime mais je n’ai pas l’impression qu’il soit un grand millésime. A force de voir des grands millésimes, les consommateurs ne nous croient plus ! La saison culturale 2018 a été difficile mais elle nous a permis de faire des pas de géant dans la compréhension des paramètres de la physiologie de la vigne ; à commencer par la relation avec les « maladies ». Cela étant, 2018 est un très beau millésime. Pour autant, 2020 possède en lui l’essence des grands millésimes.
CC : Chez nous, c’est certainement le millésime 2020 ! Il représente un tournant symbolique. Il y a la démission de Jean-Michel et donc c’est le premier millésime vinifié par lui à Champ des Treilles ; intégralement par pigeages. Une refonte de la gamme en rapport avec notre manière de cultiver et de vinifier ; sans fard. C’est aussi notre premier millésime en Vin de France. En effet, cela faisait des années que nous n’adhérions plus à la politique environnementale, commerciale, marketing, (…) des Bordeaux. Ce 2020 est notre grande fierté !!
G : Quel regard portez-vous sur le millésime 2022 ?
JMC : C’est un millésime d’une météo exceptionnelle et du grand espoir. Toutes les régions seront capables de faire des grands vins sous condition que l’impact de la sècheresse ait été bien matrisé. Que demander de mieux ?
G : Quel type de vin aimez-vous ?
JMC : J’aime un vin équilibré avec de la profondeur, de l’élégance et avec une colonne vertébrale. Un vin comme moi : très sérieux sans être austère. C’est certainement lié à ma culture familiale.
G : Pourriez-vous me décrire un vin exceptionnel ?
JMC : C’est un vin qui a tout en lui et qui est une évidence. Il touche l’âme. Tout est parfaitement à sa place et imbriqué comme il faut.
Un jour, j’avais fait graver « le grand vin nourrit l’âme ». C’est vraiment cela ; le grand vin se rapproche d’une œuvre d’art en ayant en lui une véritable charge émotionnelle.
G : Votre millésime mémorable à Bordeaux et pourquoi ?
JMC : J’aimerais parler d’un vin : Palmer 2009. Nous l’avons bu avec nos enfants à Noël. Ce vin nous a bouleversés car nous ne nous attendions pas à cela : une complexité phénoménale, un équilibre parfait et une retenue extraordinaire. C’était un très grand moment de partage familial.
Préparation cornes – biodynamie
Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.