Marjolaine de Coninck
Directrice Domaines Perrodo
Domaines Perrodo
Château Marquis d’Alesme, 3ème Grand Cru Classé en 1855, Margaux
Château Labégorce, Margaux
Château La Tour de Mons, Margaux
Rencontré par Gerda
Gerda : Parlez-nous de vous…
Marjolaine de Coninck : Je me considère comme une bâtisseuse. J’aime avoir des projets qui sont comme des nouvelles pages dans un livre, ils annoncent de nouveaux défis. Je suis sans arrêt dans le mouvement. J’ai beaucoup de chance, car mon mari est comme moi, il a plein d’idées et plein de projets, il est viticulteur à son compte. Nous aimons nous challenger, et heureusement, nous sommes sur la même longueur d’ondes ! C’est important de ne pas s’arrêter sur des résultats mais de rebondir, de construire et d’avoir des nouveaux projets. Cet esprit entrepreneurial est notre culture familiale. Je me rends compte tous les jours de l’importance de la stabilité et de l’amour familial, ces valeurs sont fondamentales pour moi.
Gerda : Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés personnellement, dans la pratique de votre métier ?
Marjolaine de Coninck : Il y a deux axes dans notre travail qui deviennent des défis permanents. Tout d’abord, l’axe social qui m’engage peut-être le plus, car je suis très attentive, peut-être même trop « bon père de famille » avec mon équipe. Je dois faire beaucoup d’accompagnement et je n’ai pas envie de déléguer cette mission car l’humain compose 80 % de la réussite d’un vin.
Le deuxième axe, c’est l’écologie qui demande de nouvelles pratiques viticoles. Je suis une technicienne et je trouve ces changements à mettre en place géniaux. Nous devons nous remettre en question continuellement, mais j’essaie de ne pas tout changer en une seule fois et d’évaluer les modifications de nos pratiques. L’agroforesterie je dis oui, car la monoculture de la vigne apporte des parasites mais planter des arbres au milieu des vignes va poser d’autres problèmes. Il faut comprendre notre passé, aujourd’hui nous sommes dans la phase de trouver le bon équilibre et c’est passionnant ! Au sein des Crus Domaines Perrodo nous appliquons une viticulture de biocontrôle mais hors certification. Je n’ai pas envie de nous cloisonner, il faut rester libre.
Nathalie (Perrodo) et moi avons déterminé notre feuille de route qui est basée sur un triangle équilatéral avec trois sommets d’écoresponsabilité prenant en compte trois paramètres :
Le consommateur : je dois produire pour lui un vin de rêve, d’un bon rapport qualité-prix avec de la qualité et de la sécurité.
Nos hommes : nous devons protéger nos employés. Prendre en charge nos vignes en bio est bien, or la multiplicité des traitements, par exemple 16 fois au lieu de 8, donnera beaucoup de stress à nos équipes. Une balance bénéfice-risque des pratiques est à discuter.
L’environnement : nous avons une approche en termes de bilan carbone, et le nombre de passage avec les tracteurs est à prendre en considération. Nous n’avons pas encore d’alternative technologique efficace : les tracteurs thermiques sont de plus en plus lourds (tassement des sols) et les tracteurs électriques ne sont pas encore assez puissants….
Notre objectif est de garder en équilibre notre triangle car ses 3 sommets sont d’importance égale. Ce n’est certainement pas facile, une réponse à une problématique crée souvent une autre problématique. Nous faisons beaucoup de brainstorming afin de ne pas dégrader un des sommets et d’avancer ensemble. C’est une remise en question permanente que je mène avec Nathalie.
Vendanges 2022
Gerda : Pourriez-vous me donner un souvenir des vendanges 2022 et votre impression de la qualité de ce millésime ?
Marjolaine de Coninck : Je garde un souvenir assez semblable du millésime 2010. Ces vendanges étaient un vrai bonheur, des conditions idéales de ramassage. Il n’y avait aucun stress. On se promenait et on ramassait quand on voulait. Nous avons tranquillement vendangé pendant 5 semaines. À aucun moment la météo se dégradait. C’était incroyable ! Les bacs de tri sont restés vides, sauf de temps en temps une petite feuille, un état sanitaire parfait !
Il y avait des arômes d’une grande pureté et des fruits envoûtant pendant la vinification. Quant à la dégustation, il y a un très bel équilibre dans le vin, avec de la fraîcheur et un grand éclat. Tout le monde est totalement ahuri du développement de ce vin à la dégustation. La vigne a tout compris et elle a réussi à conserver l’acidité, le pH est autour de 3,6. Même dans des millésimes solaires comme 2005 et 2010 le pH était plus élevé que dans le 2022 qui est élégant avec des tannins incroyables. C’est un très beau millésime. Le seul bémol, c’est la quantité, autour de 25 hL/Ha. Restons optimistes, cela permet de réfléchir et heureusement Dame Nature nous a donné ce cadeau de qualité. Elle nous a offert un vin qui tiendra sans aucun doute ses promesses.
Vos marques aujourd’hui et demain
G : Quels positionnements souhaitez-vous pour vos marques ?
Marjolaine de Coninck : Nous avons trois marques dans l’appellation Margaux qui ont trois positionnements différents :
- Tour de Mons, une porte dans le monde Margalais : c’est une marque d’entrée de gamme dans cette belle appellation. Le produit se vend autour de 15 € HT en Primeur. Nous souhaitons faire vivre cette marque avec un prix abordable.
- Labégorce, est comme un grand frère pas classé. La majorité de son terroir est situé entre les illustres voisins, c’est un grand Margaux, affilié à la grande famille des Crus Classés, mais qui ne le sera jamais. On l’assume et on l’accepte. Labégorce est une excellente valeur avec un excellent rapport qualité-prix. Le prix Primeur se situe aujourd’hui à environ 18 € HT. L’idée est d’évoluer. Dans cette catégorie, il faut donner plus d’attention car les rêves des consommateurs sont plus élevés. Nous menons en ce moment un important travail de recherche de qualité afin d’obtenir un vin plus élégant et plus raffiné répondant encore plus à la demande ; le retour du cabernet franc en sélection massale dans le grand vin depuis le millésime 2019 nous y aide beaucoup.
- Marquis d’Alesme, un petit jardin Classé en Margaux, il a retrouvé l’illustre grâce à la famille Perrodo. C’est un Grand Cru Classé tenant sa position dans sa famille. Aujourd’hui, le prix est de 25 € HT en Primeur. Notre ambition est d’évoluer vers un prix plus élevé et pour y parvenir nous devons gagner en notoriété. Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir pour se faire connaître. Évoluer jusqu’à quel prix ? Je ne sais pas. C’est le marché qui nous guidera car nous sommes très marchands et nous ne faisons rien contre le marché, nous avançons à son rythme !
G : En quoi vos vins se distinguent et sont uniques ?
MDC : Ils ont chacun le cœur d’un homme, Hubert Perrodo qui a posé ses valises à Margaux en 1989. Il n’est pas venu à Margaux pour sa profession, mais pour vivre une aventure familiale et d’amour. C’est donc en 1989 qu’il découvre Labégorce grâce à la famille Tari avec laquelle il a une passion en commun, le polo. Il a découvert cette terre française et margalaise grâce à eux et l’a immédiatement adorée et adoptée. Pour lui, Labégorce était un havre d’amour et reflétait l’art de vivre à la Française : la joie, le partage, les grandes tablées et bien sûr le vin. Il a vite appris et compris la commercialisation de Labégorce et il a aussi intégré que Labégorce ne sera jamais considéré comme un Cru Classé. C’est ensuite en 2006 que Marquis d’Alesme est rentré dans le patrimoine familial comme un vaisseau amiral. Tour de Mons lui a été proposé, mais quand je suis arrivée nous voulions d’abord faire renaître Marquis d’Alesme. Dix ans après, l’opportunité d’acheter Tour de Mons s’est à nouveau présentée et nous ne pouvions pas dire non une deuxième fois. Nathalie a dit : « c’est un signe de papa (décédé en décembre 2006), nous avons bien travaillé, nous sommes prêts et il faut y aller cette fois ! »
Tour de Mons se distingue par son terroir qui est plus argileux et argilo-calcaire, comme sur la rive droite. Il y a une majorité de merlot (57 %) apportant ce côté gourmand et cet éclat de fruit au vin sans lourdeur et le cabernet sauvignon (36 %) lui donne un caractère affirmé sans opulence. C’est un vin facile d’accès après 3 à 4 ans, un vrai produit de charme ayant aussi la capacité de vieillir 10 ans sans problème.
Labégorce, c’est le standing, un équilibre parfait avec une corpulence supérieure. Il est légèrement dominé par le cabernet sauvignon, le cabernet franc et le petit verdot. Ensemble, ils représentent 55 % de l’assemblage. Il a une belle colonne vertébrale tannique et nous cherchons de plus en plus la précision pour Labégorce que nous obtenons par l’infusion et non par l’extraction. Il a gagné en éclat aromatique : plus de poivre et d’épices et tout cela est accompli par 45 % de merlot. Labégorce a une palette fruitée, généreuse avec un corps dominé par les cabernets qui sont ciselés.
Marquis d’Alesme a son propre monde avec 70 % cabernet sauvignon. Cela prend du temps pour dompter ces cabernets sur ce grand terroir graveleux. Il faut le guider à 100 % afin d’obtenir des tannins fins, ciselés et précis. Il a des arômes de purs cabernets : des fruits noirs avec beaucoup de complexité. Il est épicé et a un grand corps aromatique. Notre challenge est de trouver la précision des tannins de ces cabernets sauvignons magnifiques.
G : Laquelle de vos réalisations récentes aimeriez-vous faire partager à notre clientèle ?
MDC : Une visite privée de Marquis d’Alesme, qui permet de pénétrer l’univers de la propriété afin de comprendre l’esprit de ce vignoble et tout ce que nous avons fait pour ce vin. Cela permet aussi de découvrir la magnifique réalisation architecturale, un vrai mélange de cultures. En effet, Nathalie Perrodo n’a pas seulement la culture française mais aussi chinoise. Sa mère est originaire de Hong Kong et Nathalie parle couramment cantonais.
J’aimerais aussi faire part d’une avancée technologique, nous expérimentons un robot électrique « Falkor » pour le travail du sol, c’est la société Naios qui depuis 3 ans, nous guide dans ce travail de robotisation. C’est une réalisation qui nécessite beaucoup d’échanges et de partage de compétences.
G : Sur quels projets futurs travaillez-vous en ce moment ? (Techniques, marketing, ou commerciaux)
MDC : Nous expérimentons et évaluons de nouvelles façons de suivre notre vignoble. Par exemple, depuis 10 ans nous avons 5 hectares sans rognage. Nous appelons ces vignes les « ballerines », on attrape les branches, on les enrôle en cercle lunaire au-dessus du bourgeon principal, Pontet-Canet a été précurseur sur cette technique dans la région. Nous allons aussi mettre en place un éco-pâturage avec des brebis et des moutons. Nous cherchons le mieux pour notre vignoble sans avoir d’idées préconçues. L’enclos de la Tour de Mons, plus de 45 hectares d’un seul tenant, bordé de bois est un terrain technique de travail hors pair.
Le commerce
G : Quelles sont vos priorités en termes de développement commercial ?
MDC : Je pense qu’aujourd’hui les trois marques sont mondialement bien reparties et ont une présence sur tous les continents. Il y a encore quelques petites faiblesses, comme le Japon et l’Afrique. Ce sont ces marchés qui ont notre priorité. Sur les marchés dans lesquels nous sommes déjà présents, nous voulons :
- Augmenter le nombre de distributeurs,
- Chercher des distributeurs encore plus niche,
- Aller jusqu’au bout de la chaîne vers le vrai retailer et le consommateur final.
Il y a encore des continents sur lesquels nous sommes présents dans des trop gros tuyaux de distribution et pas assez dans des circuits plus qualitatifs, nous devons nous concentrer sur ces clients plus précis.
G : Quels supports d’aide à la vente sont à disposition des distributeurs pour promouvoir vos vins ?
MDC : Nous avons récemment publié une petite brochure digitale et en papier : Domaines Perrodo en quelques mots dans laquelle nous expliquons notre philosophie et les trois crus en 3 à 5 phrases clé.
Nous sommes présents sur les réseaux sociaux, un site internet.
Sur le terrain, il y a Delphine notre « brand-ambassadeur », Nathalie Perrodo et moi-même. Nathalie incarne de plus en plus les marques et sa présence donne beaucoup de force pour promouvoir les trois crus.
G : A quels millésimes le marché devrait s’intéresser ? et pourquoi ?
MDC : En recherche de millésime à boire, je dirais les 2012 ou 2014 pour Marquis d’Alesme, peut-être 2017 pour Labegorce Margaux, et déjà 2019 pour La Tour de Mons.
Pour acheter et garder, sans aucun doute 2019 : un grand millésime qui est aujourd’hui, incontestablement une super good value !
2015 et 2016 sont définitivement à attendre…
G : Prévoyez-vous des sorties commerciales ou mises en marché dans un futur proche ?
MDC : Oui, la sortie primeur du millésime 2022, très prochainement !
G : Avez-vous des stocks que nos clients pourraient travailler ?
MDC : Nous vendons la grande majorité de nos récoltes en primeur, notre stock château est donc faible, au service de nos marchands pour ouvrir de nouveaux marchés. Nos négociants le savent et viennent nous questionner au cas par cas.
La bouteille de coeur de Marjolaine de Coninck
Gerda : Si vous aviez une bouteille de coeur ?
Marjolaine de Coninck : Marquis d’Alesme Becker 2015, car c’est un très grand millésime à Margaux, notre 6ième millésime de Nathalie Perrodo & sa nouvelle équipe et définitivement celui qui a fait reconnaître et re positionner Marquis, dans sa belle et grande famille des Crus Classés de Margaux !
Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.