William Kelley
Gerda : Pouvez-vous présenter votre parcours ?
William Kelley : Je suis un « wine lover » qui est devenu un passionné. J’ai eu des opportunités de goûter de très bons vins dans mes jeunes années, notamment pendant mes études à l’université d’Oxford (Master d’histoire) où j’étais responsable du club de vin le « Wine Circle ». En 2015, un de mes amis m’a invité à participer aux vendanges en Californie, au même moment, je suis devenu « wine critic » à Decanter pour trois régions : la Bourgogne, la Champagne et la Californie. Depuis 2018, je couvre ces 3 régions pour le « Wine Advocate ». Depuis 2021, j’ai ajouté Bordeaux à ma liste. En 2017, j’ai commencé à produire mon propre vin pour mon plaisir personnel en Bourgogne où je possède 0,5 hectare de vignes. C’est important pour moi de vinifier afin de mieux comprendre, les techniques, la vie des vignerons et les millésimes. Désormais, mes connaissances dans la conduite du vignoble sont plus importantes. Je peux ainsi avoir une lecture globale d’un vignoble : je sais quand le sol est trop compact, quand les vignes sont bien taillées, si la charge par pied est trop importante, s’il y a trop d’azote, je sais appréhender la qualité du matériel végétal, etc….
J’ai besoin de prendre le temps de me promener dans les vignes et j’aime comprendre la vinification, l’élevage et la technique que l’équipe met en œuvre. Je pense que c’est l’avenir du métier d’un journaliste de vin de montrer le caractère différenciant des propriétés ! Aujourd’hui, tout le monde peut poster son avis, et sa dégustation sur les réseaux sociaux… Moi, je vais sur le terrain, et je fais ce que j’aime, je parle de techniques avec les vignerons. Le vin dans son verre doit aussi être compris, la rencontre avec un vignoble doit être beaucoup plus qu’un simple échange face à une étiquette !
Gerda : Pourquoi avez-vous décidé de devenir journaliste ?
William Kelley : Haha, cela vous paraîtra peut-être bizarre, mais c’était simplement pour acheter des bouteilles ! Grâce à mes articles pour Decanter, je gagnais un peu d’argent et cela m’a permis d’acheter du vin. Par chance pour moi, écrire un article de 1 500 mots c’est facile par rapport à une thèse historique de 100 000 mots, comme celle que j’ai écrite lors de mes études à Oxford. J’ai développé ma passion pour le vin et j’ai eu de la chance car « wine writer » est un métier de « vieux crocodiles », beaucoup ont 40 ans d’expérience et ne veulent toujours pas partir en retraite…ils finiront peut-être en sacs pour dames.
Gerda : D’où vous vient cette passion pour Bordeaux ?
William Kelley : Bordeaux était mon premier amour, j’ai eu le bonheur de partager de nombreuses bouteilles magnifiques avec un ami de la famille. Un jour, il m’a même demandé de ranger sa cave de 6 000 bouteilles. Il y avait des flacons magnifiques des années 50 et 60. Pour me remercier, il m’a offert un repas autour d’un gibier avec 3 bouteilles de Cheval Blanc 1961, une mis en bouteille au château contre deux mises anglaises. J’ai toujours en mémoire ce moment inoubliable, comme j’ai toujours en mémoire le Ducru-Beaucaillou 1961, ou La Clusière 1961, les vieux La Gaffelière à Naudes et Ausone, des vins qui sont toujours d’un niveau qualitatif exceptionnel. De plus, lors des dégustations du Wine Circle Club d’Oxford, nous buvions davantage de Bordeaux que de Bourgognes. Le premier déclic et la première passion ont donc été pour Bordeaux. Ensuite, je me suis beaucoup investi pour mieux comprendre la Bourgogne. Ma démarche a été, dans un premier temps, d’acheter quelques rangs de vigne là-bas et, aujourd’hui, j’y habite avec mon épouse et nos enfants.
J’ai dégusté pour la première fois le millésime 2008 en Primeur. À partir de ce moment, j’ai suivi les changements intéressants de Bordeaux, mais de loin. Quand Lisa Perrotti-Brown est partie chez Wine Advocate fin 2021, j’ai immédiatement été motivé pour prendre Bordeaux ! C’est un grand challenge, et je mets tout mon cœur pour le faire.
Je n’aspire pas à être journaliste toute ma vie, mais je voudrais donner ma vision de Bordeaux tant que je suis en place et tant que Bordeaux continue d’évoluer. Une vision qui parle aux gens afin qu’ils comprennent les vignobles.
Le métier
Gerda : Comment décrivez-vous le rôle d’un correspondant du vin ?
William Kelley : Mon rôle est de comprendre la culture d’une région viticole, c’est-à-dire de comprendre le vin, mais aussi sa valeur culturelle, comprendre pourquoi tels vins ont du succès, et tels vins n’en ont pas, en incluant les fameuses étiquettes, mais aussi les petits vins. Je cherche les vignerons qui montent et qui font des évolutions de style. J’essaie de faire un travail plus approfondi. Quand il y a un problème, j’essaie de comprendre pourquoi, et de ne pas critiquer sans explications, sans avoir toutefois peur de poser mon analyse critique.
Gerda : Etes-vous capable de donner une note objective au vin ?
William Kelley : Le mot « objectivité » est souvent mal utilisé. Une propriété objective est une propriété qui existe indépendamment d’un observateur, ou dans ce contexte, d’un dégustateur : le pH d’un vin est une qualité objective, tout comme la présence ou l’absence de TCA, ou son taux d’alcool. Le fait qu’un vin soit bon ou mauvais n’est pas une qualité « objective », car il est perçu par un observateur, c’est-à-dire un dégustateur. Bien que de nombreux dégustateurs puissent être d’accord sur ce qu’est un excellent vin et ce qu’il n’est pas, le phénomène du vin naturel nous rappelle que la définition de la qualité est subjective : les amateurs de vin naturel apprécient des défauts que vous ou moi pourrions trouver exécrables, et en effet, ces personnes considèrent ces défauts comme des qualités. La critique de vin s’intéresse donc à la fois à l’objectif et au subjectif : quelles sont les propriétés d’un vin et quelle est sa qualité ? Lorsqu’il s’agit de juger la qualité d’un vin, nous entrons dans le subjectif ; mais un critique devrait être aussi impartial que possible, c’est-à-dire ne pas être influencé par un parti pris pour une étiquette ou une appellation, ou par une aversion pour une personne ou une variété de raisin. D’un autre côté, nous devons également défendre une certaine vision du vin et du style : est-ce qu’un critique de cinéma dit qu’un film est bon parce que la caméra est nette, ou qu’un critique d’architecture dit qu’un bâtiment est beau parce que le toit ne fuit pas ? De même, un critique de vin ne devrait pas dire qu’un vin est excellent simplement parce qu’il est « bien fait ». Il est cependant important d’être aussi cohérent que possible : un vin qui obtient une bonne note un jour devrait obtenir une bonne note le lendemain. Je suis heureux de défendre une certaine idée du vin, et j’espère que ma vision du vin anime mon travail et lui donne une cohérence indispensable, si rare, pour une critique convaincante.
G : À quel point la critique du vin doit-elle être critique et êtes-vous différent des autres critiques de vin ?
WK : Je ne déguste pas les vins avec un objectif d’avoir un regard critique. Cependant, si le vin est déviant, il faut le dire. Je ne veux pas perdre en crédibilité, je dois être capable d’assumer mes critiques envers un vin, que cela plaise ou non. C’est pour cela que c’est important de venir sur place.
Est-ce que je suis vraiment différent des autres critiques de vin ? Pour les dégustations primeurs, j’essaie de publier mes notes en premier pour ne pas être influencé par les autres journalistes. Je suis plus excité de savoir comment les autres vont noter ensuite, plutôt que de savoir à l’avance la manière dont ils ont commenté. Cependant, leurs commentaires sont intéressants car ils détaillent scrupuleusement les pourcentages des assemblages, ce que j’oublie souvent de noter.
G : Pensez-vous que la critique pousse les vignerons à se remettre en question et à évoluer ?
WK : Oui, je pense et c’est sans doute davantage le cas à Bordeaux. C’est pour cela qu’il est important que je sois compréhensible auprès des viticulteurs car je ne veux pas qu’ils pensent que je suis capricieux. Lorsque j’arrive dans un château, je tiens à ce qu’il sache comment je fonctionne, ce que je veux savoir et qui je suis réellement. Ma vision est pour le consommateur final.
Il est important que les châteaux comprennent qu’ils doivent mieux communiquer sur tout ce qui se passe à la propriété et surtout de la manière dont ils agissent en faveur de leur terroir. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, nous sommes dans un monde d’informations. Bonne, ou mauvaise, il est primordial de contrôler sa propre communication.
G : Chaque millésime et chaque terroir sont uniques. Le vigneron peut-il être conditionné par le goût des consommateurs ? Ou vice versa?
WK : Question intéressante …. Je ne pense pas. Grâce aux réseaux sociaux, il n’y a plus besoin d’homogénéisation des goûts. Il y a 30 ans, la mondialisation rendait les vins identiques, aujourd’hui ce sont les vins avec une origine, ceux qui sont les plus typés qui trouvent des débouchés le plus rapidement.
Dans le monde du vin d’aujourd’hui, le journaliste est le premier communiquant de sa vision. Le vigneron fait un vin unique, ou pas, pour lequel le consommateur est prêt à payer un prix plutôt élevé, ou pas. Les châteaux ne doivent pas avoir peur des journalistes. Au contraire, il faut être fier de son succès !
G : Comment décrivez-vous votre goût personnel ?
WK : J’aime le vin de Bordeaux qui a le goût de Bordeaux ! Avec ses origines, et les caractères des femmes et hommes qui l’ont fait : ceux qui assument, ceux qui font un travail cohérent avec leur style. J’aime le vin avec de la finesse et de la structure ce qui ne veut pas dire que je n’aime pas les tanins. J’ai toujours aimé les vins structurés du Médoc qui incarnant l’idéal de « l’austérité dans aspérité ». Par contre, je n’aime pas les vins trop alcoolisés et déséquilibrés. Par contre, il est possible que je sois plus tolérant à l’égard des expressions subtilement herbacées et mentholées que certains de mes confrères anglo-saxons. En fait, je ne suis pas très tolérant aux phénols. J’aime les vins digestes, complexes et équilibrés et pour eux je suis prêt à être patient. Les grands Bourgognes, par exemple, se révèlent tout de suite, cela prend plus de temps avec les Bordeaux.
G : Y a-t-il une nouvelle tendance aromatique à Bordeaux ?
WK : Oui, je trouve que l’on revient au vrai goût du vin et on commence à ressentir le vin ! Pendant très longtemps, on a perdu le floral et le fruit comme un Palmer 1961 par exemple.
Les changements climatiques
Gerda : Que pensez-vous des vins bios et biodynamiques ?
William Kelley : Les plus grands vins du monde sont faits sur des vignobles avec des sols vivants. Le bio est une réaction contre les effets de la chimie des années 80 et 90. Est-ce que le bio est suffisant et est-ce que le bio est la solution ? Sur ces points, je suis moins sûr. Il y a trop de questions sur le cuivre dans les sols et sur la durabilité de celui-ci… Je suis en général pour le bio, et la biodynamie mais pas contre les vignerons qui pratiquent le biocontrôle, car il ne faut pas fermer les yeux sur les problèmes d’une viticulture bio.
G : Comment vous faites pour déguster plus de 50 vins par jour, surtout pendant la période primeurs ?
WK : Je déguste au maximum 70 vins par jour pendant les primeurs, c’est-à-dire beaucoup moins que de nombreux collègues. La moitié le matin, l’autre moitié l’après-midi. Je déguste assez vite et de préférence à la propriété. Je bois beaucoup d’eau pétillante entre 5 et 6 litres par jour, et surtout, je ne bois pas pendant le déjeuner ni le soir.
G : Vous êtes à Bordeaux pour déguster le millésime 2020. Quelle est votre première impression ?
WK : Je n’avais pas dégusté ce millésime en primeurs, donc pas d’attente de ma part. C’est un bon millésime mais moins consistant en style et en qualité que le millésime 2019. Le millésime 2019 a un style plus fort, sensuel, vibrant, expressif et fruité. Le 2020 a un style qui dépend des terroirs et des tanins.
*l’entretien a eu lieu en février. William Kelley a publié ses notes de 2020 le 6 avril 2023 :https://www.robertparker.com/articles/Y7GvPXsYYyqkwornm/france-bordeaux-2020-vintage-in-bottle-out-with-old-in-with-new
G : Pouvez-vous nous parler d’une dégustation inoubliable ?
WK : C’est le Château La Mission Haut-Brion 1955. Ce vin était tellement parfait, que je ne pouvais pas l’imaginer. Il avait une équilibre parfait avec des arômes magnifiques. Je l’ai bu à deux reprises, à chaque fois j’ai eu le même sentiment. Un des premiers Bordeaux que j’ai bu était du même château, mais le millésime 1961. Il est plus puissant que le 1955 et aussi très bon. Les vins comme ca sont incroyables, et me confortent dans ma pensée : être vigneron, c’est être un des derniers vrais artisans dans le monde d’aujourd’hui.
Le Millésime 2022
Gerda : Quand allez-vous revenir pour déguster les 2022 ?
William Kelley : Haha, je pense que James Suckling déguste déjà (début février). Deux personnes m’ont déjà dit que 2022 est comme le 1982 : cela serait une bonne chose si la qualité et les prix sont les mêmes qu’en 1982 (sic!).
**William Kelley a publié ses notes de 2022 le 28 avril : https://www.robertparker.com/articles/qmTRywWJDRjqcyW6p/france-bordeaux-2022-en-primeur-futures
G : Dernière question : que pensez-vous du système de la Place ?
WK : Good question… Si la Place n’existait pas, personne ne voudrait l’inventer. C’est un système qui est très particulier, qui a des avantages, et des problèmes. C’est un outil performant pour les crus classés. Cela marche très bien pour ce type de produits. La place est un formidable outil de promotion des vins quand tout va bien, mais quand c’est difficile comme aujourd’hui, c’est aussi un filtre qui ne permet pas aux propriétaires de comprendre la réalité des marchés et les besoins des consommateurs.
Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.