Jean-Luc Thunevin
Château Valandraud
1er Grand Cru Classé, Saint-Emilion
Gerda : Parlez-nous de vous…
Jean-Luc Thunevin : Je suis encore à la recherche de qui je suis… La vérité est souvent différente par rapport à l’image qu’on souhaite donner. On est ce qu’on devient. Je suis comme les chats qui ont plein de vies et je suis assez inquiet quant à ma prochaine vie. Je suis quelqu’un de sensible qui a soif de connaissances. Il faut être curieux et avoir envie de planter des arbres si on croit en l’avenir. Dans mon cas, j’ai surtout planté des vignes… J’ai peut-être une obsession d’être aimé. Cela est certainement dû à mes racines. Je suis né en Algérie et tous les 2 ans nous déménagions. J’ai besoin d’un enracinement tout en essayant de rester libre.
Gerda : Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés personnellement, dans la pratique de votre métier ?
Jean-Luc Thunevin : L’Homme est confronté à un grand défi envers lui-même, en tant qu’espèce humaine. Dans mon cas précis, mon défi est surtout de ne pas devenir blasé lorsque je rencontre le succès. Un autre défi est de résister aux exigences des vignes, car j’ai toujours envie d’en faire davantage pour elles. Même si je suis quelqu’un d’angoissé mais positif, il ne faut pas se focaliser uniquement sur une idée fixe pour obtenir de bons résultats.
Vendanges 2022
Gerda : Avez-vous un souvenir des dernières vendanges ?
Jean-Luc Thunevin : Je n’en ai pas particulièrement, sauf peut-être le fait d’avoir immédiatement compris que le millésime serait bon. Dès l’entrée des raisins dans la première cuve, j’ai ressenti que 2022 serait même un grand millésime. Ce furent des moments heureux et tranquilles, en grande partie grâce à mes collaborateurs qui ont accompli un travail formidable. Les choses heureuses sont souvent simples.
La marque Château Valandraud aujourd’hui et demain
Gerda : Quel(s) positionnement(s) souhaitez-vous pour votre/vos marque(s) ?
Jean-Luc Thunevin : Pour moi, l’aspect de la marque est très important car si ton vin n’est pas une marque, comment peux-tu te différencier des autres ? Valandraud est ma marque principale, elle porte mon nom, tout comme Bad Boy, Clos du Beau-Père et Clos Badon. Il est essentiel de faire connaître l’image que l’on souhaite donner à sa marque grâce aux journalistes, aux distributeurs et aux collègues. Valandraud est une marque ultra-premium, et depuis le début, j’ai toujours voulu qu’elle fasse partie des vins icônes. J’ai créé la polémique avec Valandraud dans les années 90 lorsque j’ai développé ce vin de garage sur 0,6 hectare dans le vallon de Fongaban. Il est devenu une icône par hasard. Aujourd’hui, Valandraud a beaucoup grandi et ses 8,88 hectares se trouvent désormais sur le plateau argilo-calcaire de Saint-Étienne-de-Lisse. Valandraud est toujours une icône en raison de sa qualité, de son prix et de l’intérêt que le marché porte à ce vin.
G : En quoi vos vins se distinguent, et sont uniques ?
Jean-Luc Thunevin : Bordeaux a autant d’implication humaine que la Bourgogne, et Valandraud en est un exemple lié à l’histoire de son propriétaire. Cette histoire est bien plus récente que celle des Rothschild à Bordeaux, et en plus, nous ne sommes pas une famille institutionnelle. Tous nos crus ont donc une histoire personnelle avec une volonté obsessionnelle de bien faire. Quant à la typicité de mon vin, j’aime les raisins mûrs mais qui ne sont pas sur-mûri. Bordeaux a une relation complexe avec la maturité, c’est comme parler de la peste… Je vous donne l’exemple du millésime 2003 qui, pour moi, n’est pas un millésime de sur-maturité. Les vignes étaient bloquées pendant une période, mais il y a des exemples de très grands vins que nous avons produits en 2003.
Aujourd’hui, je me pose souvent la question de savoir comment nous pouvons créer un grand vin de garde avec une buvabilité à un jeune âge. Je suis obsédé par la pureté dans le vin et j’apprécie beaucoup les belles barriques neuves. C’est pourquoi Valandraud est toujours élevé à 100% en barriques neuves. C’est plus noble pour le vieillissement d’un grand vin de garde. Je ne souhaite pas faire un vin de soif, et si Bordeaux oublie de produire des vins avec une capacité de garde, que ferons-nous… des Beaujolais ? Je continuerai donc à faire des vins pour le vieillissement, mais qui seront plus agréables dans leur jeunesse. Murielle et moi avons commencé il y a 30 ans, et Valandraud est toujours vivant. J’en suis fier car nous voulons bien faire, et le résultat de notre travail est toujours présent.
G : Sur quels projets futurs travaillez-vous en ce moment ? (Techniques, marketing, ou commerciaux)
JLT : Nous sommes en train de convertir notre vignoble en agriculture biologique, mais nous ne souhaitons pas le mettre en avant. Cette décision a été prise car je suis un hypocondriaque et il est important d’être cohérent avec nos employés, mais le bio n’est pas une religion, il faut rester pragmatique. En ce qui concerne l’agroforesterie dont on parle beaucoup aujourd’hui, il n’est pas nécessaire de planter des arbres ici car nos vignes se trouvent au milieu d’un paysage vallonné unique, avec des boisements. Nous avons même un étang sur la propriété.
Le commerce
Gerda : Quelles sont vos priorités en termes de développement commercial ?
Sylvine Bourel, Responsable du Développement : Notre grande priorité est de faire connaître notre histoire et nos vins auprès des négociants et de leurs équipes commerciales, et nous avons accompli beaucoup de travail à cet égard sur la Place de Bordeaux. Je fais systématiquement déguster à nos partenaires nos 4 marques : Valandraud rouge et blanc, et Virginie de Valandraud rouge et blanc. Au total, nous avons autour du Château 40 hectares, dont 8,88 hectares pour le Château Valandraud, et le reste, soit 31,12 hectares, est dédié aux vignes qui produisent chaque année Virginie de Valandraud, qui est un Saint-Émilion Grand Cru et non un second vin, ni un vin de négoce. Virginie de Valandraud est également élevé à 100% en barriques neuves, et sa production tourne autour de 100 000 bouteilles.
Nous travaillons avec 80 négociants et nous sommes satisfaits de la force de capillarité que la Place de Bordeaux peut nous offrir. Grâce à elle, Valandraud est même présent au Kazakhstan.
G : Quels supports d’aide à la vente sont à disposition des distributeurs pour promouvoir vos vins ?
Jean-Luc Thunevin : Tout d’abord, nos vins sont nos ambassadeurs et ils parlent d’eux-mêmes. J’apprécie les notes accordées par les journalistes. Nous sommes amicaux et je respecte mes collègues négociants (Jean-Luc Thunevin est également négociant). J’accepte tous les canaux de distribution pour nos marques, sauf les discounters, et même dans ce cas… Si un collègue négociant a vendu dans ce créneau, cela signifie qu’il y avait une demande, et cela peut arriver. Je suis également négociant et je peux donc comprendre les deux côtés de notre marché. Mes marques ne doivent pas être une charge pour mes confrères. C’est très important pour moi. Je préfère conserver le stock s’il n’y a pas de demande. Je peux le garder au prix de revient, ce qui est moins cher que pour un négociant qui doit souvent rechercher un financement auprès d’une banque. Sans les négociants, je n’existerais pas et il ne faut pas ennuyer le client ! Nous produisons un produit statutaire, pas spéculatif. Lorsque mes clients achètent mes marques, je gagne de l’argent, et il est très important que toute la filière puisse en faire de même, et que les consommateurs finaux ouvrent mes bouteilles pour leurs qualités et leurs histoires.
Sylvine Bourel : Oui, les négociants sont nos clients et ce n’est pas l’inverse. Nous ne contrôlons pas nos allocations de Valandraud et nous ne ressentons pas le besoin de tout contrôler. Je tiens à ajouter que nous avons bien sûr un site internet, nous sommes présents sur les réseaux sociaux, et lorsque nous recevons des équipes commerciales à la propriété, Jean-Luc est toujours présent.
G : Vous avez commencé votre carrière en 1991, c’était la grande époque de Robert Parker. Que pensez-vous des systèmes de notations des vins aujourd’hui ?
Jean-Luc Thunevin : Les notes sont toujours importantes pour moi. Cette année, environ 60 journalistes/influenceurs sont venus déguster nos vins. Il ne faut pas se plaindre du nombre élevé, car je ne suis pas dupe. Cependant, les journalistes d’aujourd’hui n’ont plus un pouvoir absolu. Il y a un danger que les vins soient notés de manière moyenne. Le consommateur doit comprendre qu’une note donnée par Antonio Galloni n’est pas la même qu’une note donnée par Neal Martin. Les notes renforcent les marques et rassurent de nombreux acheteurs. L’être humain a besoin de se justifier, et nous sommes notés dès notre plus jeune âge à l’école.
Il y avait certainement l’époque Parker, et maintenant nous sommes dans l’après. Parker manque certainement, mais cela n’empêche pas l’émergence de nouveaux talents. De plus, l’avantage aujourd’hui est que le négoce reprend une force de prescription, chacun son tour.
G : La hiérarchie « qualité, désirabilité, et prix » entre grands crus bordelais vous semblent-elles encore ouvertes aux évolutions de nos jours ?
Jean-Luc Thunevin : Je pense que chaque marque a son propre plafond de verre. À Fronsac, par exemple, il y a des vins très bons qui, à l’aveugle, peuvent surpasser de belles étiquettes, mais il est difficile pour ces vins de briser le plafond de verre de leur appellation. Notre clientèle ne cherche pas seulement un excellent rapport qualité-prix, mais aussi l’image de la marque. Valandraud a certainement un plafond de verre plus élevé que d’autres marques dans une appellation moins connue. C’est ainsi et il ne faut pas s’en plaindre.
G : A quels millésimes le marché devrait s’intéresser ? et pourquoi ?
Jean-Luc Thunevin : Il y en a plusieurs… Par exemple, le millésime 2017. Les gens pensent que c’est un petit millésime en raison du gel, mais les parcelles touchées par le gel n’ont pas produit de vin. C’est donc un petit millésime en termes de volume, mais qui a donné un vin de très grande qualité. Je pense aussi à tous les millésimes qui suivent les grands millésimes médiatisés comme 2001 et 2011. Ce sont souvent des millésimes oubliés, mais ils offrent de bonnes opportunités pour les amateurs de vin. Ce sont de grandes bouteilles que l’on peut obtenir sans dépenser trop d’argent.
G : Prévoyez-vous des sorties commerciales ou mises en marché dans un futur proche ?
Sylvine Bourel : Nous avons lancé fin septembre de l’année dernière un coffret Acte I comprenant nos millésimes 2009, 2010 et 2011. Ce coffret a trouvé des consommateurs aux États-Unis, au Japon, à Taïwan, au Canada, à Hong Kong, en France, au Vietnam, en Allemagne, au Pérou, etc. Nous prévoyons certainement de continuer avec un Acte II lorsque le moment sera propice pour nous, la Place de Bordeaux et surtout nos clients finaux.
G : Avez-vous des stocks que nos clients pourraient travailler ?
Sylvine Bourel : En effet, nous avons des stocks de nos vins rouges et blancs qui sont conservés dans notre cave. Nous avons le plaisir d’accompagner nos importateurs, restaurateurs et cavistes au fur et à mesure de leurs demandes, transmises par le biais de la Place de Bordeaux. Nos vins, tels que le grand Valandraud 2016 qui commence tout juste à s’ouvrir ou le Virginie rouge 2019 très séduisant, sont disponibles et nous sommes ravis de pouvoir les proposer à nos clients.
La bouteille de cœur de Jean-Luc Thunevin
Gerda : Si vous aviez une seule bouteille de cœur ?
Jean-Luc Thunevin : Il est difficile de n’en mentionner qu’une seule, mais chacun a sa Madeleine de Proust. Notre amour pour le vin, Murielle et moi, est né grâce à une bouteille de Petrus 1955 offerte par JP Moueix par l’intermédiaire d’un de ses employés. Cet employé était le jardinier à Videlot (le nom de la maison où Monsieur JP Moueix vivait) et son épouse était la cuisinière. Cet employé était également client de la banque en Dordogne où j’étais employé. Étant déjà amateur de vin depuis 25 ans, un jour j’ai demandé à cet homme si Monsieur JP Moueix serait assez aimable pour me vendre quelques bouteilles de Petrus. Il ne m’a rien vendu, mais m’a offert une bouteille de Petrus 1955. Cette bouteille a changé la vie de Murielle et moi. Grâce à cette bouteille mythique, nous avons compris ce qu’était un Grand Vin Exceptionnel… et nous avons décidé de nous lancer dans cette belle aventure de produire notre propre vin.
Le vin dégusté
Valandraud 2022 : Il est merveilleux d’avoir rencontré Jean-Luc Thunevin à Valandraud. Cet homme est passionné et a une approche philosophique, mais grâce à son métier de négociant, il reste ancré dans la réalité. Ici, il n’y a pas de signes ostentatoires, mais tout est fait pour mettre en valeur le terroir exceptionnel de calcaire. Déjà dans la cuverie, on peut sentir la pureté dans l’air, qui se retrouve dans le vin. Le Valandraud 2022 est un vin magnifique. Il présente des arômes de fruits noirs bien prononcés. En bouche, le vin est complexe et soutenu par une tension remarquable. Il possède une structure superbe qui donne une belle concentration au vin. Le vin est pur, savoureux et se termine par une délicieuse salinité. Avec un pH de 3,5 et un rendement de 47 hectolitres par hectare, vive le calcaire !
Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.