Véronique Sanders-van Beek
Présidente
Rencontrée par Gerda au Château
Château Haut-Bailly
Cru Classé de Graves
Gerda : Parlez-nous de vous…
Véronique Sanders-van Beek : Représentant la troisième génération des Sanders en charge de Haut-Bailly, après mon arrière-grand-père et mon grand-père, j’ai un attachement viscéral à ce domaine dont le lieu m’émerveille au quotidien. Mon amour – mémoriel – pour cette propriété est profondément inscrit dans mes gênes et c’est pour cela que je la gère avec passion au quotidien depuis plus de vingt-cinq ans. Je suis heureuse de faire partie d’une génération de femmes qui ont dû s’imposer à la force du poignet : j’ai repris le flambeau en 1998 et je récolte aujourd’hui le fruit du travail mené avec une formidable équipe. Présider aux destinées de Haut-Bailly est bien plus qu’un métier, c’est une responsabilité sacrée, une mission.
Gerda : En 1998, Robert Wilmers a acheté Haut-Bailly. Qu’est-ce que ce grand entrepreneur vous a apporté ?
Véronique Sanders-van Beek : Robert Wilmers avait une véritable passion pour Haut-Bailly qui lui correspondait bien en termes d’authenticité, de discrétion et de retenue. Au service de cette passion, il a mis beaucoup d’intelligence, une intelligence d’investisseur respectueux du management, du terroir et du vin. The « Good Banker » est devenu the « Perfect Investor » et un propriétaire viticole si attaché à son domaine qu’il a choisi d’être enterré à Léognan, pas très loin d’Alcide Bellot des Minières, le « Roi des Vignerons » qui fut le propriétaire iconique de Haut-Bailly à la fin du XIXe siècle.
Les investissements continus effectués par Bob puis sa famille depuis vingt-cinq ans, ont permis à Haut-Bailly d’aller plus vite et plus loin : dans le vignoble d’abord où une analyse scientifique des sols et sous-sols a été menée pour une meilleure compréhension et division des parcelles. Dans les chais ensuite, avec la construction d’installations adaptées au changement climatique, à la pointe de la technologie, qui nous aident à affiner encore tous les stades de la vinification. Enfin, dans les équipes ont été enrichies année après année de nouveaux talents.
Terroirs, vignes et chais
Gerda : A Bordeaux, 2021 fut un millésime relativement équilibré avec de l’humidité. L’année 2022 a été extrêmement chaude et sèche et aura, sans aucun doute, marqué les vignerons Bordelais. Quels sont les principaux défis techniques auxquels Bordeaux va être confronté dans les prochaines années ?
Véronique Sanders-van Beek : Les vignerons Bordelais seront confrontés à plusieurs défis techniques dans les prochaines années, en particulier en raison des conditions climatiques changeantes. Nous sommes soumis à des conditions plus extrêmes : printemps précoces, lutte contre le gel, déluge, sécheresse, canicule, propagation de maladies et de parasites…
Nous devons donc être prêts à nous adapter en utilisant des pratiques agricoles durables et en expérimentant de nouvelles techniques de vinification qui s’adapteront à ce que la nature nous aura donné comme type de fruits. En travaillant ensemble pour partager les meilleures pratiques et les connaissances techniques, nous pouvons surmonter ces défis qui se posent et continuer à produire des vins de grande qualité. Une nécessaire évolution est en marche à Bordeaux.
G : En Europe particulièrement, le changement climatique est au cœur des discussions, comment les propriétés les plus prestigieuses devraient-elles prendre en compte ces nouvelles préoccupations selon vous ?
VSB : Cela fait des années que nous travaillons sur ces sujets. Notre domaine s’est bien adapté jusqu’à ce jour aux changements climatiques actuels. Bordeaux a produit depuis plus d’une vingtaine d’années de très grands vins, naturellement mûrs et gourmands. Le cabernet sauvignon est un cépage résistant et les conditions actuelles lui conviennent parfaitement. Le secret réside probablement dans notre capacité à questionner nos pratiques en permanence pour toujours s’adapter à notre environnement : la viticulture de ce premier quart du 21ème siècle n’a rien à voir avec celle du siècle précédent. Le défi à venir sera de pallier les conditions toujours plus extrêmes qui se profilent ; nous y travaillons assidûment.
G : Pour un grand cru, le bio est-il obligatoire ? Ou chacun fait comme il veut ?
VSB : Pour un Grand Cru, l’exemplarité est obligatoire. Cela ne signifie pas se ruer aveuglément vers une solution sans prendre en considération l’ensemble de ses impacts : sur la qualité du vin, sa capacité à bien vieillir, sur la biodiversité, sur le bilan carbone, sur le bien-être humain. Multifactorielle par nature, la question de l’environnement se doit d’être traitée de manière holistique, et ne se limite pas à des pratiques culturales.
Depuis très longtemps, Haut-Bailly pratique une viticulture raisonnée, respectueuse des hommes, des sols, des vignes et de l’environnement, une viticulture qui renforce les défenses naturelles du matériel végétal.
Le choix fait à Haut-Bailly d’une viticulture durable préservant un vignoble âgé prend tout son sens dans des conditions extrêmes. L’enracinement profond de nos vignes – dû à leur âge et au travail des sols – leur donne une capacité de résistance remarquable. La vigne est un patrimoine que nous cultivons pour les générations à venir.
Notre approche des questions d’environnement est d’abord pragmatique, c’est-à-dire guidée par le bon sens et la quête patiente de solutions efficaces et durables; elle est ensuite scientifique, inspirée non par la croyance ou l’idéologie mais par la réalité des faits et des données objectives dont nous disposons et qui résultent de recherches approfondies; elle est enfin centrée sur l’humain : la santé et le bien-être de nos équipes, de nos voisins et naturellement de nos clients.
Ce goût pour la réflexion en amont, l’expérimentation réfléchie, l’optimisation constante de nos process, le tout sur la base d’une réflexion à laquelle toutes les équipes sont conviées, c’est ce que les Japonais nomment « Kaizen » : c’est notre marque de fabrique et, aujourd’hui plus que jamais, le secret de notre résilience : pas de révolutions brutales ni de changements de cap soudains, mais un formidable travail d’équipe visant à collectivement identifier, analyser, qualifier, faire évoluer chaque aspect de nos opérations.
Le dernier exemple en date est fourni par notre nouveau chai, qui intègre les exigences environnementales actuelles : collecte et recyclage des eaux de pluie, inertie géothermique pour une moindre consommation d’énergie, lumière naturelle à tous les niveaux. L’idée a été d’appliquer à cet ensemble les mêmes règles écologiques qu’à la viticulture, tout en intégrant les normes les plus élevées en matière de confort et de sécurité au travail pour nos équipes étroitement associées au projet.
G : En 1982, 1990, ou même plus récemment 2009, 2010, les châteaux réalisaient de beaux rendements et des vins exceptionnels. Dernièrement, le sentiment prédominant est que cela n’est plus possible. Pour produire des vins d’exception, les propriétés sont-elles vouées à produire de faibles quantités ?
VSB : Le mot faible est relatif… Je ne le crois pas : un grand millésime peut rester à la fois qualitatif et généreux en quantité. 2019 en est le dernier bel exemple.
Le commerce
Gerda : Vous êtes plutôt spécialisés dans les grands vins, mais existe-t-il encore un avenir à Bordeaux pour les petits châteaux ?
Véronique Sanders-van Beek : Bordeaux, c’est la première marque viticole au monde ! Il y a de bons vins partout à Bordeaux aujourd’hui. Je suis certaine qu’il y a toujours de la place sur le marché pour les châteaux qui sont capables de produire des vins de qualité à des prix abordables, tout en créant une marque solide et distinctive.
Le fait d’appartenir à une appellation viticole de renom comme Pessac-Léognan avec un cahier des charges exigeant est positif pour les petits domaines qui sont tenus de progresser.
G : Vous avez parcouru le monde pour promouvoir Haut Bailly au cours de votre carrière, Bordeaux a-t-il toujours beaucoup d’atouts ?
VSB : Bordeaux continue de faire rêver dans le monde entier ! Le vignoble de Bordeaux incarne une tradition viticole qui remonte à l’époque romaine ; c’est le berceau historique de la viticulture et du commerce du vin. Bordeaux, c’est aussi des terroirs uniques, une grande variété de cépages, et une grande diversité de styles de vin allant des vins rouges tanniques et puissants aux vins blancs frais et fruités, en passant par les vins liquoreux riches et complexes. Enfin, c’est une grande réputation internationale pour la qualité de ses vins.
G : Que pensez-vous des systèmes de notations des vins aujourd’hui ?
VSB : Les systèmes de notation des vins peuvent être utiles pour les consommateurs qui cherchent à évaluer la qualité des vins avant de les acheter, mais ils peuvent également être source de controverses et de débats. Aujourd’hui, non seulement les critiques n’ont jamais été aussi nombreux mais le consommateur par le biais des réseaux sociaux devient également un critique. Ceci étant, lorsqu’un vin est grand, il fait toujours l’unanimité !
G : La hiérarchie « qualité, désirabilité, et prix » entre grands crus bordelais vous semblent-elles encore ouvertes aux évolutions de nos jours ?
VSB : Cette hiérarchie est en constante évolution, reflétant les tendances changeantes du marché et les préférences des consommateurs. Aujourd’hui, les consommateurs de vin sont également sensibles à d’autres facteurs tels que l’empreinte environnementale, l’authenticité (le vrai goût du terroir) mais aussi la typicité.
G : Que, selon vous, caractérise une bouteille d’exception ?
VSB : Ce qui caractérise une bouteille d’exception, c’est l’émotion qu’elle suscite, l’émotion partagée, l’émotion qui nous transporte et nous donne le sentiment de familiarité – être comme à la maison – ou au contraire l’impression de découverte – partir en voyage. Une bouteille d’exception, c’est aussi un vin qui a du style, une identité propre et définie.
La distribution aujourd’hui et demain
G : Autrefois, les châteaux commercialisaient la quasi-totalité de leur production en primeurs, est-ce que cette tendance est révolue ?
VSB : La commercialisation en primeurs reste une tradition importante pour les vins de Bordeaux, mais il est vrai que la tendance a évolué au fil du temps. Aujourd’hui, certains châteaux vendent également une partie de leur production « en livrable », soit le vin une fois mis en bouteille. Il est formidable de voir chaque année l’engouement des marchés mondiaux dans cette période des primeurs.
G : Comment voyez-vous l’inflation des prix des plus grands domaines ces dernières années ?
VSB : Si une propriété augmente ses prix, cela a à voir avec la reconnaissance de sa qualité ; c’est le marché, la loi de l’offre et la demande. Plus il est recherché, plus rare il devient. La qualité commande la demande qui aboutit à une forme de rareté qui crée de la cherté. Les grands vins de Bordeaux restent néanmoins parmi les plus abordables dans l’univers des grands vins mondiaux.
G : A Bordeaux, nous avons un système très particulier de Place. Ce système de distribution ouvert est-il un avantage pour les importateurs et distributeurs qui sont les clients du négoce ?
VSB : Le système de la Place de Bordeaux est incroyablement efficace et professionnel. Le monde entier nous l’envie. C’est lui qui a permis le rayonnement international des vins de Bordeaux. Les propriétés s’appuient sur les forces commerciales des différentes maisons de négoce pour être présentes dans un très grand nombre de pays. De leur côté, les importateurs et les distributeurs peuvent accéder à une large gamme de vins de Bordeaux, provenant de différents producteurs et de différentes régions, ce qui leur permet de proposer une offre diversifiée à leurs clients.
G : Nous constatons un intérêt du marché pour l’arrivée sur la Place, de vins produits hors de Bordeaux ces dernières années. Comment expliquez-vous cette tendance ?
VSB : Si des vins étrangers souhaitent être distribués par la Place de Bordeaux, cela signifie bien que la Place a un fonctionnement durable et fort. En les distribuant, la Place renforce sa position de leader sur le marché de la distribution des grands vins.
G : Pour finir, avez-vous en mémoire le souvenir d’un ou de plusieurs vins qui a (ou ont) marqué votre vie, en tant que grand dégustateur ? Pourriez-vous nous décrire votre émotion ?
VSB : Haut-Bailly 1964 en magnum dégusté chez un collectionneur à Miami. J’ai su ce jour-là avec certitude pourquoi j’allais faire ce que je fais depuis 25 ans : l’émotion qui s’est dégagée de ce vin a engendré une véritable vocation, l’appel du terroir ! Depuis ce jour, c’est un honneur et un bonheur quotidien de servir un terroir exceptionnel, un terroir qui nous impose plus de devoirs que de droits.
Yquem 2001 est un autre grand moment d’émotion. La pureté et l’élégance de ce vin sont d’une très grande noblesse.
Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.