Max Lalondrelle
Directeur général – achats Fine Wines Berry Bros & Rudd
Après une semaine intense de dégustations Primeurs en avril 2023, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec Max Lalondrelle qui a eu la gentillesse d’accepter une interview autour d’un déjeuner. Max est l’un des acheteurs les plus connus de la Place de Bordeaux et le directeur des achats de vins fins chez Berry Bros & Rudd.
Vous et votre entreprise
Gerda : Pourriez-vous présenter votre parcours personnel et pourquoi le vin ?
Max Lalondrelle : Je suis né dans les Landes de parents sylviculteurs et viticulteurs. Nous avons une petite propriété familiale où nous produisons de l’Armagnac. J’ai toujours vu des vignes autour de la maison. Après mon BTS au lycée viticole à Montagne Saint-Émilion, j’ai effectué mon service militaire sur la côte landaise à Biscarosse et j’ai eu mon premier flirt… anglais qui m’a donné envie de découvrir ce pays. C’est donc en 1993 que je suis arrivé en Angleterre et je ne l’ai plus quittée depuis. Au début de ma carrière, j’ai travaillé comme sommelier et très vite j’ai commencé à travailler chez des cavistes. Mon premier emploi chez Berry Bros & Rudd remonte à l’an 2000, en tant que chef d’équipe des ventes en Europe. À l’époque, nous étions 6 vendeurs, maintenant nous sommes une équipe de 45 ! En 2007, je suis devenu directeur des achats pour Bordeaux. Aujourd’hui, je suis membre exécutif en tant que directeur général Vins Fins et responsable de tous les achats de vins et spiritueux pour le groupe.
Gerda : Parlez-nous aussi de votre entreprise afin que nos lecteurs comprennent vos réponses aux questions qui suivront, je vous remercie de préciser à quel type de clients vous vendez ?
Max Lalondrelle : Berry Bros & Rudd est le plus ancien marchand de vins d’Angleterre, et cette année nous célébrons les 325 ans de notre groupe, qui est toujours familial. Notre présidente est Elizabeth Rudd. Notre chiffre d’affaires s’élève à 220 millions d’euros. Nous avons des bureaux à Londres, au Japon, à Singapour, à Hong Kong et aux États-Unis. En plus du vin, nous avons également une division spiritueux (CA 20 millions) qui se divise en deux parties : d’une part, la production de nos propres marques et d’autre part, la vente aux détaillants. La division vin représente la plus grande part, avec un chiffre d’affaires de 180 millions, et nous vendons 10 % aux détaillants et restaurants spécialisés dans le haut de gamme et 90 % à des clients privés, dont 20 % sont les clients les plus importants et également les plus actifs. Nous avons une équipe de vente composée de 45 personnes et une capacité de stockage de 16 millions de bouteilles dans notre entrepôt situé à Hampshire, au sud-ouest de Londres. Nous offrons de nombreux services à nos clients, tels que le stockage, mais aussi l’organisation d’événements, jusqu’à 800 par an. Ces événements, auxquels assistent 30 000 clients privés, sont des moments exceptionnels dédiés au vin, favorisant la découverte, l’éducation et le partage. Nous avons également créé la plateforme BBX Fine Wine Exchange, par le biais de laquelle nos clients peuvent acheter et vendre leurs vins stockés chez nous à d’autres particuliers. La valeur des stocks de nos clients particuliers dépasse le milliard d’euros.
Gerda : Quels challenges principaux rencontrez-vous sur votre marché : la logistique, la concurrence, les réglementations, la consommation, autre ?
Max Lalondrelle : La principale difficulté dans notre marché est le coût élevé de la distribution, qui ne nous permet pas de vendre des vins d’une certaine catégorie car les marges y sont trop faibles. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous nous spécialisons dans le haut de gamme. J’ai une certaine frustration de ne pas pouvoir distribuer des vins de gamme moyenne, car Bordeaux, tout comme d’autres régions françaises, peut produire certains des meilleurs vins au monde dans cette catégorie.
Nous travaillons avec 700 vignerons dans le monde. En termes de chiffre d’affaires, Bordeaux représente la première région, suivie par la Bourgogne, la Champagne, l’Italie et les États-Unis.
Quant aux autres défis, tout est une question d’organisation et l’impact du Brexit est minime, même s’il entraîne beaucoup de paperasse et une augmentation des coûts d’importation… mais c’est la vie.
Gerda : Comment la demande des grands Bordeaux a-t-elle évoluée ces dernières années sur votre marché et quelle est sa part dans votre activité ?
Max Lalondrelle : Bordeaux représente 45 % de nos ventes en termes de chiffre d’affaires et contribue à 11 % de nos bénéfices. Cela signifie que 89 % de notre marge est réalisée avec les autres vins. Il y a 20 ans, Bordeaux représentait 80 % de notre chiffre d’affaires. Il est logique que ce chiffre ait diminué car la Bourgogne a gagné en popularité et les concurrents de Bordeaux sont partout. Aujourd’hui, on trouve également de grands vins au Chili, en Espagne et en Nouvelle-Zélande.
Cependant, Bordeaux, tout comme la Bourgogne, est l’une des rares régions qui peuvent offrir aux détaillants et aux restaurateurs des vins prêts à boire, avec une certaine maturité. Cela dit, une connaissance approfondie de ce marché est nécessaire si une propriété souhaite être vendue dans cette catégorie.
Votre clientèle
Gerda : Quels sont les critères d’achat principaux de vos clients lorsqu’ils achètent des grands vins ?
Max Lalondrelle : Nos avantages, qui sont également les critères d’achat de nos clients, sont l’accès direct aux plus grands vins du monde, ce qui garantit la qualité de l’approvisionnement. Nous sommes très peu actifs sur le marché secondaire. De plus, nous offrons un service d’excellence, à la fois avec une grande qualité de stockage et une adaptabilité de notre service logistique pour nos clients.
Nos clients ont des goûts de plus en plus éclectiques. Ce sont des collectionneurs qui recherchent de grandes bouteilles provenant de différentes régions viticoles du monde. Notre défi est donc de garantir une grande qualité d’approvisionnement, d’avoir accès aux plus belles bouteilles tout en restant compétitifs.
Notre réputation auprès des clients et de nos fournisseurs est très importante pour nous.
G : Quels influenceurs ou journalistes comptent le plus pour vos clients ?
Max Lalondrelle : Ce sont des journalistes avec le « British taste », tels que William Kelley, Jane Anson, Neal Martin et Jancis Robinson. Cependant, ce qui importe le plus pour nous, c’est la dégustation faite par notre propre équipe. Nous investissons beaucoup dans nos vendeurs, qui passent en moyenne entre 10 et 15 jours par an en visite des régions viticoles et des producteurs. Notre priorité est sur la qualité des vins que nous évaluons en interne et nous faisons confiance à notre choix avant les notes des critiques. Nous pouvons vendre un vin avec une note de 86 si nous l’apprécions.
G : Le système des notes est-il toujours primordial lorsque les clients achètent du vin ?
Max Lalondrelle : Non, les notes font partie du système, mais elles sont moins un argument d’achat que notre propre opinion.
G : La technologie peut-elle aider les producteurs à se rapprocher des consommateurs et est-ce un besoin ?
Max Lalondrelle : Non, c’est nous qui avons besoin d’accéder à l’information afin de pouvoir partager notre savoir-faire avec nos clients. Nos clients recherchent l’information chez nous, et pas nécessairement directement auprès des producteurs.
Bordeaux et vous
Gerda : Quand on dit « Bordeaux », à quoi vos clients pensent-ils ?
Max Lalondrelle : Bonne question ! C’est un défi constant pour moi. Le problème de Bordeaux est qu’il s’agit d’une très grande région avec une locomotive très puissante, les Crus Classés. Souvent, les gens oublient qu’il y a 1 000 autres vignerons dans cette région. Lorsque le marché des Grands Crus Classés fonctionne bien, le reste du marché suit. Mais lorsque les Grands Crus Classés commettent des erreurs, cela tire tout le marché vers le bas. Les Grands Crus Classés ont une responsabilité d’exemplarité.
Malheureusement, du point de vue des consommateurs, Bordeaux est associé à une région qui a des prétentions et qui passe trop de temps à se regarder, alors que le reste du monde viticole avance très vite. Bordeaux n’a pas non plus suffisamment travaillé pour moderniser son image auprès des consommateurs.
G : Nos propriétés travaillent énormément sur les conséquences du changement climatique et sur la transition vers une agriculture plus respectueuse. Quelles sont les attentes réelles de vos clients à cet égard ?
Max Lalondrelle : Je pense que nos clients ne sont pas encore à 100 % attentifs à ce sujet, mais en tant que société, nous avons le devoir d’agir, car il faut être en avance sur ce que vos clients exigeront un jour. Nous investissons donc dans la durabilité, par exemple en utilisant l’électricité photovoltaïque pour notre entrepôt, ainsi qu’en récupérant et réutilisant nos eaux. Il y a deux ans, nous avons même pris la décision de présenter notre gamme de vins maison sans capsule. Nous essayons d’être pionniers dans ce domaine et nous avons organisé un forum sur la durabilité avec nos fournisseurs, animé par Jane Anson et 110 vignerons avec qui nous travaillons.
G : Pour vous, sans tabou, quels sont les forces et les faiblesses de Bordeaux aujourd’hui ?
Max Lalondrelle : Sa force réside dans sa distribution diversifiée. Sa faiblesse est que Bordeaux est la région des Vins Fins où les marges sont les plus faibles. Comme souvent, il y a deux côtés de la médaille :
Le bon côté est que Bordeaux est l’une des meilleures régions pour les Vins Fins et la plus grande en termes de production.
Le mauvais côté est que les marges et les prix sont sous pression. Il y a trop de transparence sur le marché. Le premier critère d’achat pour un consommateur est le rapport qualité-prix, qui est souvent plus important que la marque. En Bourgogne, le consommateur ne peut pas se passer d’un domaine en raison de la faible quantité produite, mais il peut le faire à Bordeaux. C’est un avantage pour le consommateur, mais pas pour la marque. En conséquence, les clients ne sont pas aussi fidèles à Bordeaux.
G : Les classements de Bordeaux sont-ils toujours des critères d’achat essentiels ?
Max Lalondrelle : Non, ni pour nous ni pour nos clients, et les récents changements à Saint-Émilion n’auront pas d’influence sur les achats.
G : Ces dix dernières années, certaines marques ont progressé plus vite que d’autres. Pensez-vous qu’il existe encore des évolutions possibles dans la hiérarchie des Bordeaux ?
Max Lalondrelle : Oui, il y aura toujours des évolutions, mais les propriétés qui progressent sont celles qui comprennent leur distribution et qui soutiennent l’ensemble de la filière en laissant de l’argent circuler. La recette du succès est simple : de bonnes personnes, de bons terroirs, de bons vins offrant de bonnes marges. Chez Berry Bros & Rudd, nous n’avons jamais participé au « Bordeaux Bashing ». Nous aimons la région et nous faisons partie intégrante de son système. Quand elle connaît du succès, nous en bénéficions également !
G : Pourquoi une étiquette est-elle incontournable dans votre portefeuille ?
Max Lalondrelle : Elle est incontournable car elle apporte une valeur ajoutée. Nous représentons une étiquette parce qu’elle est en accord avec notre marque. Ce sont des propriétés qui sont reconnaissables et qui doivent être prises au sérieux. C’est pourquoi nous travaillons depuis des années avec les mêmes 700 vignerons. Il s’agit d’un « brand equity ». Je recherche toujours un équilibre entre nos marques et la qualité de notre portefeuille. Étant donné que Berry Bros & Rudd est une marque de luxe, nous recherchons des produits de luxe qui correspondent à notre image.
G : Est-il intéressant que la Place de Bordeaux vous propose davantage de vins hors de Bordeaux ?
Max Lalondrelle : Non, pas forcement pour tout, nous importons directement des vins du monde entier en Grande-Bretagne et nous sommes capables de les distribuer depuis des décennies. Je comprends les avantages pour certaines propriétés d’être distribuées par la Place, mais très peu de négociants sont des « constructeurs de marque ». C’est un domaine dans lequel nous excellons, et grâce à cela, nous avons attiré les meilleures propriétés du monde. Lorsque vous êtes marchand de vin au Vietnam et que vous n’êtes pas en mesure d’obtenir ces vins en dehors de Bordeaux, la distribution par la Place a du sens, mais pas nécessairement pour nous. En ce qui concerne le nombre, vendre 30 vins par la Place est acceptable… trop serait préjudiciable. La Place devrait se concentrer sur les vins ultra-premium. Il n’y aura pas de place pour tout le monde.
G : Que devrait faire Bordeaux, châteaux ou négociants, qui pourrait contribuer à améliorer et développer votre marché et votre activité ?
Max Lalondrelle : Je dirais qu’ils devraient avoir une meilleure connaissance de la distribution. Nous travaillons avec des négociants et Châteaux tout au long de l’année, de manière approfondie uniquement avec des partenaires avec lesquels nous pouvons établir un véritable partenariat. Ces partenaires doivent posséder une connaissance approfondie à la fois de notre marché et du leur.
G : Enfin, si vous deviez décrire 2022 en une phrase, que choisiriez-vous ?
Max Lalondrelle : Un millésime exceptionnel grâce à des conditions météorologiques exceptionnelles, bien que tous les vins ne soient pas exceptionnels… quelques vins sont les meilleurs jamais produits !
Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.