Laure Canu
Directrice Générale
En poste depuis 2021
Château Cantemerle
5eme Grand Cru Classé en 1855, Haut Médoc
Gerda : Parlez-nous de vous…
Laure Canu : J’ai travaillé en tant qu’avocate spécialisée dans les acquisitions à effet de levier pendant 4 ans. C’était un domaine qui m’intéressait énormément sur le plan intellectuel. J’ai rencontré des personnes ouvertes et intéressantes, mais c’était également un métier très exigeant. Les heures de travail étaient considérables, le stress était omniprésent et nous n’avions pas le droit à l’erreur. Les valeurs humaines semblaient ne pas avoir leur place. Cependant, cela était très bien rémunéré. J’ai pris des vacances à New York avec une amie qui exerçait la même profession. Cette ville dégage une énergie incroyable. Nous l’avons adorée, et pendant ce séjour, nous avons pris la décision de repartir de zéro dans nos carrières respectives. Donc, toutes les deux, nous avons démissionné pour nous lancer dans de nouvelles aventures. J’avais toujours eu le projet de faire quelque chose dans le domaine de la gastronomie et du vin. Un projet familial m’a conduit à Bordeaux. J’ai donc décidé de m’inscrire à l’école de commerce Kedge à Bordeaux pour suivre un programme de master spécialisé en Management des Vins et des Spiritueux, en alternance. C’est là que j’ai eu l’opportunité extraordinaire de travailler au sein de l’équipe dirigée par Philippe Blanc, aujourd’hui Directeur Général du Château Beychevelle. Cela m’a permis de comprendre le fonctionnement de la Place de Bordeaux et de rencontrer des personnes passionnantes. J’y suis restée pendant un an. Ensuite, j’ai travaillé pendant six mois chez Wine Services afin de mieux appréhender la distribution et la construction des marques. J’ai eu l’occasion de rencontrer Sylvie Cazes, et j’ai ensuite rejoint l’équipe de Pichon Comtesse de Lalande pendant huit mois, avant de travailler avec elle au Château Chauvin. J’ai également collaboré avec elle sur des projets tels que Le Chapon Fin, sa société de Wine Tours, ainsi que tout ce qu’elle a entrepris pour la Cité du Vin. C’est une personne formidable, généreuse et sincère. J’ai adoré travailler pour elle et avec elle. Ensuite, j’ai occupé le poste de Directrice Générale Adjointe au Château Angélus, avant de me lancer dans ce beau projet à Cantemerle.
Gerda : Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés personnellement, dans la pratique de votre métier ?
Laure Canu : L’un des principaux défis personnels auxquels je suis confrontée est la solitude. Être Directrice Générale est à la fois une chance passionnante, car cela implique de prendre des décisions, de mettre en œuvre ma vision et de développer une stratégie. Cependant, prendre des décisions seule peut être un peu inquiétant. De plus, il faut aussi trouver sa place ici à Bordeaux.
Un autre défi est de surmonter la crainte de diriger cette magnifique propriété qui a été tenue pendant 30 ans par un homme, Philippe Dambrine, qui était très apprécié de tous. Philippe est un homme exceptionnel, très humain, un véritable gentleman. Il est difficile de prendre la relève après lui, mais heureusement, tout s’est bien passé. J’ai été chaleureusement accueillie par l’équipe, ce qui a facilité la transition.
Vendanges 2022
Gerda : Avez-vous un souvenir des dernières vendanges ?
Laure Canu : Voir les premiers raisins rentrer était un moment émouvant. Cela m’a touchée car cela renforce le sentiment d’appartenance à une véritable équipe, avec des familles qui vivent ici à Cantemerle. Tout le monde est très impliqué et passionné. Cantemerle est un endroit où l’on se sent bien et protégé du monde grâce au parc et à la forêt qui nous entourent. Philippe a créé une atmosphère qui nous inspire tous. Pendant les vendanges, nous déjeunons ensemble, ce qui est un moment agréable où nous nous retrouvons tous.
Nous avons connu des moments forts et tristes en 2022. Une partie de nos vignes a été touchée par le gel, un orage de grêle et la sécheresse. C’est un millésime exceptionnel, mais nous avons enregistré le plus faible rendement de l’histoire de Cantemerle. En tant qu’équipe technique, Eric Boissenot (œnologue/consultant) et moi-même, nous avons pris la décision de faire une sélection rigoureuse pour privilégier la qualité plutôt que la quantité. Notre actionnaire, le Groupe SMA (mutuelle d’assurance du secteur BTP), nous a soutenus dans cette démarche. Eric Boissenot nous aide à obtenir plus de structure en milieu de bouche avec des tannins d’une grande douceur. Le millésime 2022 est extraordinaire, il est frais, explosif. C’est un Cantemerle d’une qualité exceptionnelle.
La marque Cantemerle aujourd’hui et demain
Gerda : Quel(s) positionnement(s) souhaitez-vous pour votre/vos marque(s) ?
Laure Canu : Notre objectif est de devenir une marque forte, reconnue à l’échelle internationale. Cantemerle repose sur des bases solides et, est réputée pour offrir l’un des meilleurs rapports qualité-prix. Sa force réside dans le fait que c’est un vin qui est apprécié et partagé. Cependant, nous devons sensibiliser les professionnels à la qualité de Cantemerle. Nous souhaitons changer la perception, l’image qui lui est associée et sortir du carcan du 5ème Grand Cru Classé. Pour atteindre ces objectifs, nous devons organiser des dégustations, voyager et inviter des personnes à visiter notre domaine une fois les travaux terminés. Nous voulons faire connaître encore davantage les grandes qualités de Cantemerle.
G : En quoi vos vins se distinguent, et sont uniques ?
LC : Cantemerle se distingue par une qualité constante quel que soit le millésime. Philippe et son équipe ont travaillé main dans la main pour bien comprendre le terroir. Cantemerle possède donc une forte identité et n’a jamais suivi les tendances. Il est élégant, délicat, frais et peut ne pas plaire immédiatement. Il met en valeur le terroir de manière authentique. Nous n’utilisons pas beaucoup de bois neuf et nous adaptons les périodes d’élevage si le millésime l’exige. Aujourd’hui, le vin est en train de changer car les jeunes vignes atteignent leur maturité, et avec l’aide d’Eric Boissenot, nous produisons un vin plus structuré et charpenté en milieu de bouche, tout en conservant des tanins délicats. Cantemerle restera toujours un vin d’élégance, assez velouté, sans jamais être démonstratif.
G : Laquelle de vos réalisations récentes aimeriez-vous faire partager à la clientèle ?
LC : Nous avons la chance d’avoir un actionnaire coopératif qui a immédiatement soutenu notre projet ambitieux de moderniser notre équipement technique, de rénover à la fois le Château avec de nouvelles chambres, et l’orangerie, mais aussi les bureaux, et la salle de réception, et de refaire le parc avec le soutien d’un paysagiste. Tout cela va transformer l’apparence de Cantemerle, et ce lieu magique si particulier retrouvera son âme.
Le chai sera entièrement en gravité et nous allons tripler le nombre de cuves ! Cela nous permettra de travailler en parcellaire et de suivre avec précision tout le travail minutieux réalisé dans les vignes jusqu’au chai.
G : Sur quels projets futurs travaillez-vous en ce moment ? (Techniques, marketing, ou commerciaux)
LC : J’ai récemment recruté un directeur commercial, Pierre-Alexandre Gazaille, car il est essentiel d’être très présent sur tous les marchés et d’être nombreux pour le faire, afin d’acquérir une connaissance plus précise de la distribution. Nous travaillons en étroite collaboration avec les négociants de La Place de Bordeaux, notamment Roland Coiffe & Associés. Nos partenaires de la Place ne peuvent pas créer la marque à notre place, c’est à nous de le faire, mais ils possèdent une connaissance remarquable des marchés sur lesquels ils sont présents. Ils sont indispensables.
Les travaux au Château seront terminés en 2025, et notre objectif est de proposer une expérience Cantemerle en créant un lieu d’accueil au domaine. C’est l’une de nos principales actions. Cantemerle est idéalement situé juste à l’extérieur de Bordeaux et à la porte d’entrée du Médoc, ce qui en fait un endroit idéal pour recevoir des visiteurs.
Cette année, nous ouvrirons au public notre autre propriété sur la rive droite, Château Grand Corbin, acquis par SMA en 2011. Une équipe incroyablement énergique y est présente. C’est très gratifiant et émouvant de créer des espaces de vie ensemble. Je suis fière, responsable et heureuse de mettre en lumière ces lieux. À Grand Corbin, nous avons changé d’œnologue et Axel Marchal nous consulte désormais. C’est quelqu’un de formidable, humble et à l’écoute. Nous avons des Merlots exposés au nord, qui étaient auparavant un inconvénient mais qui, avec le changement climatique, sont devenus un avantage. Le millésime 2022 est incroyablement frais, je l’adore, et Axel a donné plus de personnalité au vin. Nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère pour Grand Corbin.
À Grand Corbin, nous évoluons dans un environnement champêtre, où il y a plus de liberté. À Cantemerle, nous sommes ancrés dans un univers historique.
G : Où en est(sont) votre(s) propriété(s) en matière de « transition écologique » ?
LC : La démarche environnementale à Cantemerle a commencé il y a 10 ans. Cette viticulture plus respectueuse de l’environnement commence à porter ses fruits. J’ai rencontré tous les vignerons responsables de leur parcelle, et ils sont tous engagés dans cette volonté. Ils m’ont tous assuré de l’impact positif : la vie est revenue dans les vignes grâce à la présence de plantes et d’animaux.
En septembre 2022, nous avons recruté Alice Baudouin en tant que responsable QSE (Qualité, Sécurité et Environnement) et pilote RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises). Alice a travaillé pour le CIVB (Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux) et possède une grande expertise dans ce domaine. C’est elle qui nous a poussés vers la RSE. Comme elle, je suis sensible aux questions sociales et familiales, et Alice nous pousse à aller encore plus loin. Elle est comme un moteur qui pousse tout le monde à se remettre en question.
Grâce aux projets de rénovation, nous nous sommes posés beaucoup de questions sur la manière de faire encore mieux pour l’environnement. Notre projet comprendra des plans d’eau, des installations géothermiques et des panneaux photovoltaïques. Tout cela nous permettra d’être le plus neutre possible en termes d’émissions de CO2, dans ce cadre unique de 90 hectares de parc/forêts avec des arbres centenaires et 100 hectares de vignes. Ces écosystèmes naturels étaient toujours présents, mais grâce à Alice, nous sommes plus conscients de l’importance de ce cadre exceptionnel de Cantemerle.
Le commerce
Gerda : Quelles sont vos priorités en termes de développement commercial ?
LC : Cantemerle est une marque forte en Asie, notamment en Chine et en Asie du Sud-Est, où Philippe Dambrine a réalisé un travail remarquable. Cantemerle est également une marque bien établie en Europe, mais nous devons encore renforcer notre présence aux États-Unis, où il y a un gros travail à faire. Nous devons conserver notre présence en Asie, mais de manière plus ciblée.
Il est également essentiel de sensibiliser davantage les négociants et leurs équipes à la grande qualité de Cantemerle. C’est pourquoi j’ai décidé de travailler avec un groupe plus restreint pour la commercialisation du millésime 2022.
Mon objectif est d’être davantage présent dans le secteur de la restauration tout en maintenant un bon rapport qualité-prix, et d’être distribué partout dans le monde.
G : Quels supports d’aide à la vente sont à disposition des distributeurs pour promouvoir vos vins ?
LC : Comme tout le monde, nous disposons d’un site internet et sommes présents sur les réseaux sociaux.
Moi-même et le directeur commercial, Pierre-Alexandre Gazaille, sommes en train de repenser la manière de présenter Cantemerle. Nous devrons fournir aux commerciaux de la Place de Bordeaux et à leurs clients des outils pour mieux comprendre Cantemerle. Il s’agit de proposer un langage captivant et compréhensible. Un autre pilier est la relation avec la presse. Il est important de faire déguster à nouveau les vins, d’expliquer comment ils évoluent dans le temps et de faire comprendre leur capacité de vieillissement.
G : A quels millésimes le marché devrait s’intéresser ? et pourquoi ?
LC : Récemment, j’ai dégusté le millésime 2011 avec des journalistes français. C’est un millésime auquel on ne pense pas forcément, mais quelle belle surprise ! Il est actuellement à son apogée. C’est un Cantemerle classique avec des notes de violette, une magnifique fraîcheur et une grande élégance. Les millésimes 2009 et 2010 sont de grands millésimes, mais les millésimes 2011 et 2014 sont délicieux à déguster dès maintenant. J’ai l’impression que le marché les a un peu négligés.
G : Prévoyez-vous des sorties commerciales ou mises en marché dans un futur proche ?
LC : La campagne Primeur est très importante et elle restera. Mais la question aujourd’hui est de savoir si nous devons conserver davantage de stock pour alimenter le marché plus tard. Cela sera certainement le cas. Malheureusement, cette année, c’est très compliqué à réaliser car nous avons produit très peu de Cantemerle 2022, comme je vous l’ai expliqué précédemment, et notre sélection a été très stricte, ce qui a conduit à produire proportionnellement plus de deuxième vin.
Nous sommes également en train de sélectionner les négociants qui seront nos véritables partenaires, ceux qui se sentiront impliqués et auront envie de travailler main dans la main avec nous. Je comprends tout à fait les négociants qui n’ont pas envie de nous suivre dans cette belle aventure.
La bouteille de coeur de Laure Canu
Gerda : Si vous aviez une seule bouteille de cœur ?
LC : Si je devais choisir une seule bouteille de cœur, ce serait… Pichon Comtesse de Lalande. J’adore cette propriété qui m’a énormément marquée. Je me retrouve dans ses vins, dans ce lieu magnifique et son histoire.
Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.