Hélène Génin
Directrice du Domaine
Château Latour
1er Grand Cru Classé en 1855, Pauillac
Gerda : Pourriez-vous présenter votre parcours ?
Hélène Génin : Je suis originaire du Nord-Est de la France, de la Lorraine. Dès ma jeunesse, je savais que je voulais travailler au contact de la terre et de la nature. Ma mère travaillait dans un centre d’information et d’orientation et m’a conseillé de suivre un BAC agricole dans un internat, à Château Salins, près de Metz, en 1994. Après l’obtention de mon BAC, j’ai poursuivi en classe préparatoire pour intégrer une école d’ingénieur. J’ai malheureusement échoué au concours et je me suis orientée sur un BTS en viticulture et œnologie. J’ai choisi cette voie grâce à un oncle passionné qui m’a fait découvrir ce qu’était le monde du vin. La viticulture présente un aspect à la fois agricole et culturel, avec une gamme très variée. En 1998, j’ai intégré l’école d’ingénieur en agronomie à Montpellier et j’ai obtenu simultanément le diplôme national d’œnologie. Dans le cadre de ce diplôme, j’ai effectué un stage à Latour en 2001, et depuis ce moment, je n’ai plus quitté ce vignoble magnifique. Au début, j’ai travaillé au service qualité du chai et au laboratoire, en binôme avec le maître de chai, et grâce à M. Engerer, qui a souhaité me confier davantage de responsabilités, j’ai fini par devenir Directrice Technique Chai. En 2014, ma collègue Pénélope Godefroy est partie pour prendre la responsabilité technique aux Châteaux Vray Croix de Gay, Le Prieuré, et Siaurac, tandis que je suis devenue Directrice Technique des vignes et du chai. Depuis le premier janvier de cette année, je suis également Directrice du Domaine.
Gerda : Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés personnellement, dans la pratique de votre métier ?
Hélène Génin : Le plus grand défi est d’ordre humain. Il faut concilier toutes les ambitions et les attentes de chaque personne au sein de l’équipe tout en les dirigeant vers une même direction. Je dois aligner l’équipe sur les projets définis par la direction.
Adapter la matière végétale aux changements des conditions climatiques est certainement un autre défi majeur. Nous travaillons beaucoup sur ce sujet, et en tant que technicienne à l’origine, je suis fascinée par cette problématique.
La culture de la vigne
Gerda : Dans quel état d’esprit abordez-vous les changements climatiques ?
Hélène Génin : J’apprécie énormément les défis, et le changement climatique en est un parmi tant d’autres. Chez Artemis Domaines, nous sommes profondément engagés dans une réflexion approfondie sur ce sujet. Cela nous pousse à nous poser de nombreuses questions, car il est essentiel de ne jamais se reposer sur nos acquis. Cet esprit d’entrepreneuriat enrichit toute l’équipe. Il ne faut pas adopter une attitude fataliste. Il existe certainement des solutions, et nous travaillons en ce sens pour assurer la pérennité de notre vignoble et être en mesure de produire de grands vins de garde dans l’avenir.
Gerda : Vous avez une solide expérience de plus de 21 ans au Château Latour. Quelles sont les différences observées dans les vignes depuis votre arrivée en 2001?
Hélène Génin : Les vignes menées en bio et biodynamie depuis leur plantation semblent plus résistantes aux maladies (Château Latour est certifiée bio depuis 2018). D’une manière générale, le vignoble développe plus de diversité. C’est magnifique de voir la faune revenir dans nos vignes comme des vols de chardonnerets. C’est même stimulant pour tous les vignerons qui passent tous les jours au milieu de cette vie foisonnante.
Gerda : Comment quantifiez-vous le caractère vivant de vos sols ?
Hélène Génin : Nous avons réalisé des analyses de sols et observé la flore indigène, et c’est incroyable de constater la différence. Nous avons découvert davantage d’espèces différentes dans notre sol et dans la vigne.
À la fin du mois de mars, lors d’une formation en agroécologie délivrée à toute l’équipe du vignoble, nous avons pu échanger avec les salariés sur l’importance de la diversité dans les vignes, sur la manière de gérer les couverts végétaux et avons pu observer, grâce à un simple test bêche, la vie qu’il abrite. Nous avons trouvé de nombreux vers de terre, qui sont d’excellents indicateurs de la vitalité du sol.
En adoptant cette agriculture plus respectueuse de l’environnement, il est essentiel d’être davantage en contact avec la terre et de susciter l’enthousiasme au sein de son équipe.
Gerda : Combien d’hectares sont actuellement travaillés avec des chevaux, et quelles tâches accomplissent-ils ? Disposez-vous toujours de tracteurs ?
Hélène Génin : Depuis 2013, nous travaillons les 47 hectares de l’Enclos avec des chevaux. Ce sont soit les salariés de notre prestataire, soit notre propre équipe qui travaille avec les chevaux. Nous proposons une formation aux salariés intéressés afin qu’ils maîtrisent bien la manipulation des chevaux. Il est essentiel de connaître le cheval, les techniques de travail du sol et les besoins de la vigne pour éviter tout dommage. C’est un travail agréable mais très physique.
Les chevaux exécutent actuellement diverses tâches comme la levée des fils ou les trous de complantation. Nous travaillons, pour 2024, sur du matériel permettant de rouler ou travailler les couverts végétaux.
Nous utilisons bien sûr, encore des tracteurs, mais en alternance avec le cheval. Les traitements phytosanitaires notamment, ne peuvent être réalisés autrement qu’au tracteur pour des raisons de sécurité et pour une bonne réactivité. Celle-ci est essentielle lorsqu’on pratique l’agriculture biologique.
Gerda : Vous appliquez des principes biodynamiques. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?
Hélène Génin : Nous appliquons les principes biodynamiques sur une surface de 60 hectares au total, soit l’Enclos et 12 hectares hors de l’Enclos. Notre objectif est de convertir la quasi totalité de notre vignoble en 2025.
Mr. Engerer et Pénélope ont démarré des essais dès 2009. Les résultats ont été suffisamment concluants lors des dégustations pour que la décision soit prise d’aller plus loin que de simples essais. Grâce à la biodynamie le vin a encore plus gagné en pureté et en finesse. C’est vraiment incroyable. L’équilibre dans l’écosystème est fondamental. Il est essentiel de maintenir la vigne en bonne santé pour qu’elle puisse lutter au mieux contre les maladies par elle-même. Ce n’est pas évident, car une belle vigne est une plante qui, lorsqu’elle souffre, donne le meilleur d’elle-même. En tant que liane, lorsque la vigne ne souffre pas, elle pousse de manière excessive et consacre toute son énergie à la végétation plutôt qu’aux raisins qu’elle porte. Il est donc essentiel de trouver un équilibre entre la manipulation de cette plante et le respect de son état naturel. Tout ce travail d’observation, d’étude et de respect est véritablement fascinant.
Gerda : Aujourd’hui on parle beaucoup d’agroforesterie. L’appliquez-vous ?
Hélène Génin : Oui, l’agroforesterie est importante pour nous. Nous avons planté des haies, et en 2019, nous avons organisé une journée d’échange sur la l’agroécologie ouverte à tous nos confrères. La même année, nous avons également complanté des érables champêtres dans une parcelle de vignes. Les études comparatives que nous avons mené depuis deux ans indiquent des différences significatives entre les vignes témoins et les vignes en proximité des érables. Il y a beaucoup plus d’auxiliaires dans les vignes où les érables sont plantés. Depuis deux ans, nous avons également introduit les premiers arbres fruitiers dans quatre parcelles. Les premières observations sont prometteuses, mais il est important de procéder avec prudence pour éviter la concurrence entre les arbres et les vignes.
Nous disposons également d’un cours d’eau entre notre propriété et celle de notre voisin, qui est un véritable havre de biodiversité que nous devons préserver avec soin.
La technique
Gerda : Sur quels projets techniques travaillez-vous en ce moment ?
Hélène Génin : Tous nos enjeux se jouent dans le vignoble. Il y a deux aspects sur lesquels nous nous sommes focalisés particulièrement :
- Le pH des vins et son évolution avec le changement climatique.
- Le maintien du niveau de production.
La sélection massale est très importante dans tout cela et c’est donc un sujet sur lequel nous travaillons beaucoup.
Le vin
Gerda : Le style du Château Latour, a-t-il changé depuis que vous appliquez le bio ?
Hélène Génin : Oui, je trouve que nous avons gagné en complexité aromatique dans le vin. Le vin a acquis en pureté et présente même des notes florales. Je suis certaine que nous serons davantage agréablement surpris dans le temps en appliquant cette agriculture plus respectueuse de l’environnement.
Cependant le bio n’est pas une fin en soi. L’agriculture bio et la biodynamie nous obligent à être plus présents sur le terrain et à être encore plus attentifs à l’observation. Ces deux approches agricoles ouvrent encore davantage nos yeux sur le respect de l’écosystème dans son ensemble. C’est extrêmement gratifiant de semer des graines, de planter des arbres et de voir l’environnement évoluer de manière positive. Cela profite non seulement au vin que nous produisons, mais aussi à nos employés et à nos visiteurs.
Nous collaborons avec une paysagiste qui m’a ouvert les yeux sur notre environnement naturel et sur la manière de faire rentrer le côté plus sauvage des zones naturelles qui nous entourent dans nos vignes.
Gerda : Pourriez-vous me décrire un vin exceptionnel ?
Hélène Génin : Ce n’est pas évident de faire une description généralisée d’un vin exceptionnel car tout dépend de la perception. Pour moi, c’est un vin qui suscite des émotions, et cela peut être un bon millésime ou un millésime compliqué.
Gerda : Quel millésime du Château Latour est mémorable pour vous et pourquoi ?
Hélène Génin : Je me rappelle très bien que Mr. Engerer m’a appelé de sa voiture. Il m’a dit qu’il recevrait une personne importante pour dîner au Château ce soir-là et qu’il a pensé à Latour 1900 en magnum. Je suis descendue dans la cave pour prendre ce magnum et le déguster avant le dîner. C’était un moment mémorable. Le vin était d’une grande classe, racé avec une complexité extraordinaire. Quant à ma bouteille de cœur, c’est Latour 2001. L’année où je suis arrivée à la propriété.
Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.