Inside La Place – La convivialité dans l’ADN

Stephen Carrier

Directeur Général

Château de Fieuzal

Grand Cru Classé de Graves, Pessac Léognan


 

 

Gerda : Vous êtes un homme passionné et un de vos leitmotiv est de créer, parlez-nous de vous un petit peu plus…

Stephen Carrier Je suis champenois, issu de parents viticulteurs. La culture de la vigne a toujours fait partie de ma vie. Cela n’a pas toujours été un plaisir d’aller arpenter les rangs de vigne à l’âge de 6 ans, mais c’en est devenu un par la suite ! Devenu passionné, j’ai décidé que la vigne serait au cœur de ma carrière. C’est un métier que je connais bien et que je continue d’apprendre.

En ce qui concerne ma personnalité, je suis quelqu’un d’entier et direct. Je suis un meneur d’hommes qui aime faire progresser les autres et j’ai une véritable passion pour le vin, en particulier pour la vigne.

Je suis profondément reconnaissant des gens qui m’ont apporté leur aide, dont Jean-Michel Cazes qui, malheureusement, n’est plus parmi nous. Grâce à lui, j’ai pu évoluer à Bordeaux. A mon niveau, j’essaie également d’aider les autres, ce qui me donne une grande satisfaction.

G : Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés personnellement, dans la pratique de votre métier ?

SC : Mon métier comporte des spécificités, dont la plus importante est la viticulture. C’est un travail sur le long terme ; les choix pris aujourd’hui doivent être les bons pour les décennies à venir. Par exemple, le choix d’une variété de vigne, d’un clone spécifique, ainsi que l’emplacement dans une parcelle, sont des décisions déterminantes pour toute une carrière professionnelle. C’est un véritable défi, d’autant plus que les contraintes actuelles ont considérablement évolué, que ce soit au niveau réglementaire ou climatique, ou encore en ce qui concerne les attentes des consommateurs.

 


Vendanges 2023

G : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le millésime 2023 ?

SC : Ce millésime a pleinement répondu à nos attentes, et s’est avéré être le plus étalé que j’ai eu l’occasion de vinifier. Les vendanges ont débuté le 28 août avec les cépages blancs et se sont achevées le 11 octobre avec une dernière parcelle de Cabernet Sauvignon. Contrairement aux prévisions quelques mois plus tôt, la nature s’est montrée généreuse ; les blancs, grâce à un rendement exceptionnel, présentent une fraîcheur rare et les premiers merlots récoltés sont d’une finesse surprenante, alors que les Cabernet Sauvignon se caractérisent par une qualité rarement égalée. Nous prévoyons de terminer les écoulages d’ici mi-novembre, ce qui me permettra d’avoir une perspective plus affinée sur la qualité de cette nouvelle cuvée.

 


La marque Fieuzal aujourd’hui et demain

 

Gerda : Quel(s) positionnement(s) souhaitez-vous pour votre/vos marque(s) ? 

SC : Je trouve que parler d’une marque est un petit peu prétentieux. Je souhaite que le vin soit bu et que la marque garde sa convivialité. Cela fait partie de mon ADN et de ma façon de vivre au quotidien. Je ne considère pas un Grand Cru comme un produit de luxe, car le luxe est quelque chose de rare or nous avons la capacité de produire chaque année.

Je souhaite que les consommateurs aient confiance en Fieuzal, qu’ils sachent que ce vin provient d’un endroit authentique, avec des personnes authentiques. Fieuzal est comme une famille et je veux que l’univers de Fieuzal évoque de la sympathie et rassure.

Il est important de respecter les réseaux de distribution, surtout à l’époque actuelle. Ils sont tous très performants. L’essentiel est que nos vins soient bus. Lorsque quelqu’un va au restaurant à Bordeaux, à Oslo, à Amsterdam ou à New York et voit du Fieuzal sur la carte, je souhaite qu’il puisse identifier le propriétaire et le winemaker. Une belle bouteille doit donner envie de partager et de créer une ambiance chaleureuse. C’est plus qu’une marque car elle est le vecteur d’une expérience unique.

G : En quoi vos vins se distinguent, et sont uniques ?

SC : Fieuzal est unique car il est né dans un endroit où aucun autre vin est né. Il est dirigé par des gens qui ne sont pas originaire de Bordeaux : un couple d’irlandais (Brenda et Lochlann Quinn) qui est propriétaire depuis près que 25 ans.

Il se distingue par sa gestion singulière et par l’équipe qui le compose. C’est un lieu assez difficile à comprendre. Pour ma part, il m’a fallu du temps car à l’époque je suis arrivé avec mes acquis d’un mec de 40 ans. J’ai appris à découvrir le terroir, et au fil des années nous produisons des vins qui expriment davantage ce lieu en privilégiant plus d’élégance avec moins d’extraction. Je me suis ouvert et essaie d’être moins « narrow-minded ». J’écoute davantage et me suis entouré de gens qui m’aident dans cette démarche pour essayer de mettre en avant au mieux ce lieu unique.

: Sur quels projets futurs travaillez-vous en ce moment ? (Techniques, marketing, ou commerciaux)

SC : Je travaille sur un projet social qui s’appelle « Fieuzal 2030 ».

Nous avons replanté une grande partie du vignoble et grâce à cela nous avons fait plus de premier vin que deuxième vin en 2022. C’est un signe que le vignoble est en place et je suis convaincu que nos choix de vinification dans le cuvier sont bons. Ce cuvier, en service depuis 2011, est un outil formidable. Je n’ai pas besoin d’autre chose, mais il est important de noter que nous nous trouvons à Léognan qui est aujourd’hui la banlieue de Bordeaux et le sera encore davantage dans 10 ans. Il devient de plus en plus difficile de trouver du personnel qualifié. Certes, le terroir est essentiel, mais sans personnel pour planter les vignes et travailler ce terroir, nous faisons face à un problème majeur. Les personnes sont la clé de la réussite. Lorsqu’on compare Pauillac et Léognan par exemple, les conditions économiques sont pour le moins distinctes. C’est pourquoi, avec Daragh Quinn nous avons initié ce projet « Fieuzal 2030 » pour repenser ce lieu et créer un environnement plus social, en construisant des logements pour attirer du personnel. Je pense vraiment que les gens jouent un rôle crucial dans l’élaboration d’un vin.

G : Vous avez fait le choix en 2019 de ne pas être certifié, pourquoi avez-vous fait ce choix ?

SC : Nous avons pris cette décision parce que je ne suis pas convaincu aujourd’hui, que sous le climat de Léognan, nous puissions produire chaque année une récole de qualité. C’est ma conviction. Pour autant, nous avons replanté des haies et avons introduit des animaux, notamment des moutons, un poulailler et des ruches. Aujourd’hui, tout le monde le fait mais Jean-Michel Cazes m’a initié a aller plus loin comme il a fait avec le village de Bages. Maintenant que nous avons fini de replanter le vignoble, que le cuvier est fait et que j’ai une équipe performante, j’ai un rêve, même si je ne suis pas chez moi, le rêve de transformer Fieuzal en une véritable ferme. Nous sommes dans les Landes, entourés des bois. Il y a encore un écosystème et il est de notre devoir de le protéger et de le mettre davantage en valeur.

 


Le commerce

 

: Quelles sont vos priorités en termes de développement commercial ? 

SC : Nous souhaitons asseoir la distribution de Fieuzal dans le plus de pays possible. En association bien sûr avec la place de Bordeaux dont la capillarité n’est plus à démontrer. Ce système de commercialisation est extraordinaire de par sa diversité et sa capacité à se transformer surtout à l’époque actuelle. Il faut savoir travailler avec. Je crois à une chose que j’ai constaté sur les cognacs et les champagnes : si le vin est bien vendu sur le marché domestique, il sera un jour vendu à l’export. Je préfère que notre distribution soit solide en France pour rebondir un jour à l’export qui peuvent être, pour certains marchés, beaucoup plus volatile. Nous sommes déjà bien structurés mais il reste encore du travail.

A l’heure actuelle, nous sommes bien distribués en France, au Benelux et en Suisse. Nous développons actuellement le Royaume-Uni. Quant aux autres marchés d’exportation, ils dépendent de la situation de l’économie mondiale. Les ventes aux Etats-Unis étaient très moyennes cette année, par rapport à la campagne 2019. L’Asie n’est pas encore un marché majeur pour Fieuzal, mais si Roland Coiffe parvient à vendre 50 caisses un jour en Asie, il y aura peut-être un jour 150 caisses. Pour moi, l’essentiel est de faire de la qualité et de fixer le bon prix. Si tout se vend pendant une campagne primeurs, cela veut dire que le prix de sortie était juste et que le marché a confiance en nous. En ce qui concerne la distribution, je n’ai pas la prétention de dire aux négociants où ils doivent placer nos vins. Nous sommes dans un autre univers à Fieuzal.

Cependant La Place de Bordeaux a une puissance extraordinaire et c’est un système qui ne coûte rien pour les propriétés. Je viens du champagne et j’ai travaillé pour LVMH, donc je sais combien une force de vente coûte. Nous n’avons pas les moyens pour avoir notre propre force de vente et cela s’applique également à la grande majorité des 350 grands crus. Il est donc essentiel de prendre soin de cet outil formidable. Il faut avoir travaillé ailleurs pour comprendre combien le marketing peut coûter cher. Notre principale mission est de faire les meilleurs choix pour produire la meilleure qualité possible. Je trouve même très bien que la Place vende des vins d’ailleurs. Cela permet aux négociants d’avoir des portefeuilles plus larges. Si nous n’arrivons pas à vendre nos vins, cela veut dire que nous ne sommes pas bons. Je suis très content quand un négociant inclut notre vin sur son tarif car cela signifie qu’il va se battre pour le vendre. Tous les vins étrangers vendus par La Place sont une superbe vitrine pour Bordeaux. Ce qui me plait le plus à Bordeaux, comparé à il y a 15 ans auparavant, c’est que le négoce achète par opportunité et non plus pour faire plaisir comme cela a pu être le cas. Le négociant aujourd’hui prend des vraies décisions et il a un rôle pédagogique auprès de la propriété.

G : Quels supports d’aide à la vente sont à disposition des distributeurs pour promouvoir vos vins ?

SC : Comme vous l’aurez compris j’attache beaucoup d’importance à la relation humaine. Nous recevons de manière singulière à la propriété. J’ai voyagé et le service est très important. Lorsqu’un négociant vient avec ses clients à Fieuzal, ils sont reçus comme nul par ailleurs. Nous sommes disponibles, nous voyageons et nous essayons d’optimiser toutes nos missions à l’extérieur. Nous sommes aussi à l’écoute des négociants, soucieux de savoir comment nos vins sont perçus et tout ce que nous pouvons faire pour s’améliorer.  

G : A quels millésimes le marché devrait s’intéresser ? et pourquoi ?

SC : Le 2014 car ce millésime est le vrai Bordeaux, il a beaucoup de finesse et d’élégance et le prix parfait. C’est un millésime qui ressemble à ce que nous faisons aujourd’hui et qui, je trouve, traduit parfaitement le terroir de Fieuzal.

Thomas Duclos, nous accompagne depuis le millésime 2019 dans nos choix de vinification. Comme chacun l’objectif principal est de récolter à la maturité que nous pensons être la plus adaptée au style de vin que nous souhaitons produire. C’est ce que je vous disais en introduction, au-delà de l’expérience, j’essaye de m’adapter au terroir. Extraction beaucoup plus souple et plus longue également avec des vins encore plus propre avant la mise en bouteille voilà l’idée globale de notre travail et de nos actions au quotidien sur nos vins. Personnellement, je suis beaucoup moins fixé par la composition de chaque cépage mais beaucoup plus par l’équilibre général de notre assemblage. L’arrivée de Thomas était assez perturbante pour moi. Il fallait que je sois prêt à écouter, dans la mesure où il a apporté de nouveaux concepts. Mon éducation s’est faite avec beaucoup de maturité et beaucoup d’extraction.

Dans notre terroir de graves et de graves fines qui ne retiennent pas l’eau, il est essentiel de ne pas pousser trop loin le raisin, et quand il est temps de vendanger, il faut agir immédiatement. Thomas est un excellent professionnel, il fait partie de l’équipe, et il y a un véritable échange d’idées et de savoir-faire entre nous.

J’ai beaucoup de chance avec les propriétaires car avec mon caractère je ne pourrai pas travailler n’importe où. Mon expérience de travail avec Jean-Michel Cazes à Lynch Bages m’a appris énormément. Mon passage aux États-Unis m’a formé à la gestion d’une propriété et ce que veut dire travailler pour un groupe. A Fieuzal, j’ai la liberté de gérer cette propriété comme si c’était la mienne. Lochlann & Brenda Quinn sont des personnes rares car ils ont compris qu’investir dans le vignoble ne peut se faire que sur le long terme ce qui est essentiel à mes yeux. Un de leurs six enfants, Daragh, a repris la gestion depuis quelques années maintenant.

G : Prévoyez-vous des sorties commerciales ou mises en marché dans un futur proche ?

SC : J’essaie surtout de discerner les moments où les négociants sont réceptifs à recevoir des offres. Toutefois, la vie est faite de cycles, et la dynamique commerciale devrait revenir dans un laps de temps que je ne saurais trop estimer aujourd’hui. C’est dans ces moments-là qu’il est important d’avoir des propriétaires impliqués et qui comprennent le métier.


La bouteille de coeur de Stephen Carrier

 

: Si vous aviez une seule bouteille de cœur ? 

SC : Sans hésitation, c’est Lynch Bages, en plus je dois énormément à Jean-Michel Cazes. C’est un grand monsieur qui m’a fait découvrir Bordeaux et m’a donné l’opportunité de travailler ici (Stephen était directeur technique des Châteaux Lynch Bages et Ormes de Pez de 2001 à 2005). Ma bouteille de cœur est Lynch Bages 1986 parce-que je l’ai bue avec lui et cela me rappelle un moment inoubliable. Je ne suis pas quelqu’un de très sensible mais je suis profondément affecté par sa disparition. Au-delà du fait que c’est une bouteille exceptionnelle, Lynch Bages est la propriété que j’apprécie le plus à Bordeaux.


Les vins dégustés

Château de Fieuzal Blanc 2016 : C’est un millésime qui évolue très bien. Il a une belle tension et une belle épaisseur. C’est une année charnière pour Stephen et ce millésime a une part importante de sémillon. « A mon arrivée à Fieuzal, j’avais une approche légèrement plus contemporaine, avec une focalisation sur le sauvignon blanc. Bordeaux est aussi & surtout une région réputée pour le sémillon. En 2016, Fieuzal blanc est composé à 50 % de sauvignon et 50 % de sémillon. Avant 2016, les blancs de Fieuzal avaient beaucoup plus de sauvignon. Le sémillon a la capacité de vieillir remarquablement bien, comme en témoigne le Domaine de Chevalier, par exemple.»

Il présente des arômes de sauternes avec des écorces d’orange et même de clou de girofles.

Château de Fieuzal Rouge 2019 : Assemblage marqué par une proportion de merlot beaucoup plus importante que les millésimes précédents. Il se distingue par une élégance singulière sur ce millésime de grande maturité. Les tanins sont fin et d’ores et déjà fondu avec encore des notes d’élevage mais une pureté qui caractérise à merveille. Il fait partie de ces millésimes comme 2009 qui seront à boire tout le temps et qui seront appréciés à leur juste valeur chaque année d’ouverture.

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.