Inside La Place – Journaliste au Decanter Éditeur Premium & Bordeaux

 Georgie Hindle

Je croise souvent à Bordeaux lors de dégustations, la dynamique journaliste de Decanter, Georgie Hindle. Cette interview était donc une excellente occasion de mieux la connaître en lui posant quelques questions autour d’une tasse de thé cette fois-ci.


Gerda : Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Georgie Hindle : Je suis l’aînée d’une famille de cinq enfants. J’ai toujours aimé faire partie d’une famille nombreuse. On en tire le meilleur. Le fait d’avoir des frères et sœurs plus jeunes est une grande source d’inspiration. C’est peut-être grâce à cette éducation que je suis une personne créative, instinctive, toujours à la recherche de nouveaux projets. Je suis sociable, j’aime rencontrer de nouvelles personnes, j’apprécie la bonne cuisine et, bien sûr, j’ai une passion pour la découverte des vins. Cependant, comme beaucoup de choses dans la vie, tout est question d’équilibre – surtout dans l’industrie du vin – alors je marche beaucoup et j’essaie d’aller à la salle de sport aussi souvent que possible.

G : Pourquoi avez-vous décidé de devenir journaliste ?

GH: C’est mon père qui m’a suggéré de faire carrière dans le journalisme, car il savait que j’écrivais bien. Au départ, j’avais l’intention de faire de la philosophie, de la politique et de l’économie (PPE) à l’université, mais c’est un cursus difficile à intégrer et je n’ai pas été admise dans l’université de mon premier choix, si bien que j’ai décidé de prendre une année sabbatique pour voyager dans le monde entier et essayer le journalisme un an plus tard. J’ai choisi le journalisme multimédia à l’université de Bournemouth en Angleterre.  Pourquoi le vin ? C’est plus ou moins une coïncidence.

Au cours de ma dernière année d’université, une journée portes ouvertes était organisée dans une maison d’édition à Londres. J’y suis allée avec quelques étudiants de ma promotion où nous devions réaliser un projet de groupe et le présenter à la direction. Je me suis portée volontaire pour présenter l’idée de mon groupe et je pense que cela m’a permis de me faire remarquer. On m’a ensuite rappelé pour un entretien formel et j’ai reçu une offre pour rejoindre leur programme diplômé, en même temps qu’une autre personne. Au bout de deux ans, la maison d’édition m’a proposé un emploi après ma formation, un poste de rédacteur en chef adjoint du site Web de Decanter. Au départ, je n’étais pas intéressée car je ne connaissais rien au vin, mais j’avais besoin d’un emploi et cela semblait être un lieu de travail agréable.

Quelques changements de poste plus tard, je vivais entre Londres et la France, lorsqu’un poste de rédacteur pour la France s’est présenté. Un an plus tard, je suis devenue rédacteur Premium, en charge des abonnements en ligne et du contenu pour les parties de Decanter.com réservées aux abonnés. En 2021, je vivais déjà à Bordeaux lorsque je suis devenue correspondante pour Bordeaux à la suite du départ de Jane Anson pour créer sa propre entreprise. C’est vraiment un monde de rêve captivant et glamour dans lequel je me retrouve, où je rencontre des vignerons extraordinaires et où je participe à des dégustations incroyables. Je me sens vraiment chanceuse d’en faire partie.

G : D’où vous est venue cette passion pour Bordeaux ?

GH : Bordeaux occupe une place particulière dans mon cœur. C’est l’un des premiers endroits où Decanter m’a envoyée, en 2013, pour couvrir la campagne En Primeur 2012. Cette expérience m’a fait découvrir un monde fascinant, rempli de merveilleuses rencontres avec des vignerons, des sommeliers et des professionnels du vin. Un autre souvenir de mes débuts, est un déjeuner extraordinaire avec l’ancien vigneron de Château Mouton Rothschild, Philippe Dhalluin au Café Lavinal, au cours duquel j’ai dégusté une verticale de grands vins. Ma famille vit également dans la région voisine du Lot-et-Garonne et j’ai donc visité Bordeaux un certain nombre de fois pendant mes vacances. Je n’aurais jamais imaginé qu’un jour je vivrais dans cette ville et que mon travail consisterait à déguster des vins de Bordeaux. C’est plus exigeant que je ne le pensais, mais j’adore ça.

 

Le commerce


G : Comment décrivez-vous le rôle d’un correspondant vin ?

GH : Je me pose souvent la question suivante : quelle est la véritable raison d’être de mon travail ? En tant que correspondant vin chez Decanter, nous écrivons principalement pour le consommateur final, bien que nos articles soient également lus par les professionnels. Ce qui me tient à cœur, c’est la question du message que j’aimerais faire passer. Je prends beaucoup de plaisir à mettre en avant des producteurs moins connus, non seulement les crus classés, mais aussi les vins de Sauternes ou les vins des appellations satellites. Bordeaux n’a jamais été aussi bon dans cette gamme.

Il faut du temps pour vraiment comprendre les domaines, leur philosophie et leurs caractéristiques uniques. Je consacre beaucoup d’efforts à combler les lacunes de mes connaissances. Bordeaux connaît une évolution remarquable dans ce monde hautement compétitif, en particulier à une époque où la tendance est à la réduction de la consommation d’alcool. J’ai une profonde admiration pour ces personnes qui travaillent sans relâche face à des défis tels que le changement climatique, l’augmentation des coûts de production, les difficultés à embaucher des employés et le stress permanent de la vente de leurs vins.

G : Êtes-vous capable de donner une note objective au vin ?

GH : Oh, oui, absolument. C’est une compétence qui peut être développée par la formation et chez Decanter, nous tenons beaucoup à rester indépendants. L’essentiel est de comprendre le style voulu par le vigneron et sa vision du vin. J’essaie toujours d’expliquer pourquoi j’aime ou j’aime moins le vin, afin de garantir la transparence de mes évaluations. Il est facile d’écrire des notes positives sur des vins que j’aime, mais il est plus difficile d’être critique lorsque je n’aime pas personnellement boire certains vins. J’essaie de garder à l’esprit que quelqu’un pourrait les aimer même si je ne les aime pas.

G : Dans quelle mesure la critique de vin doit-elle être critique et en quoi êtes-vous différent des autres critiques de vin ?

GH : Bonne question, je pense que le fait d’être très critique n’est pas propice à un discours constructif et à de bons conseils utiles. Chez Decanter, nous ne « recommandons » aucun vin que nous n’aimons pas, comme par exemple,  les vins qui manquent de fruit, qui ne sont pas équilibrés ou qui ont trop d’acidité. Je ne suis pas la personne qui doit dire à une cave comment produire un vin. Il s’agit de partager mon évaluation personnelle avec notre public.

En effet, nous avons tous des sensibilités et des préférences uniques en matière de vin.

Je pense que les vins doivent avoir du fruit et de la structure et représenter le lieu et les personnes dont ils sont issus. C’est pourquoi il est important de visiter des domaines viticoles et de parler avec les personnes impliquées dans le processus de vinification.

Au cours de la dernière décennie, les domaines viticoles ont subi des transformations importantes en termes d’investissements, de pratiques de durabilité, d’ouverture d’esprit des consultants et de capacité à s’adapter aux changements climatiques. Il y a une nouvelle génération de vignerons avec des perspectives nouvelles, et je suis fière de faire partie de ce paysage en évolution.

G : Pensez-vous que les critiques poussent les viticulteurs à réfléchir et à évoluer ?

GH : Il ne fait aucun doute que les critiques ont une influence sur l’industrie du vin. Le meilleur exemple est l’impact de Robert Parker dans le passé. Un homme a marqué de son empreinte le style des vins : la « Parkerisation ».

Les notes restent très influentes et les viticulteurs sont souvent tentés de satisfaire certains palais en fonction de leurs marchés cibles. Des notes élevées peuvent incontestablement stimuler les ventes de vin. Cependant, nous assistons aujourd’hui à une inflation des notes qui va trop loin : même une note de 96+ ne suffit plus.

G : Chaque millésime et chaque terroir sont uniques. Le vigneron peut-il être influencé par le goût du consommateur, ou vice versa ?

GH : En fin de compte, on ne peut pas faire un Bourgogne à Bordeaux. Le vigneron peut également être influencé par le goût du consommateur. Les meilleurs vins sont ceux que l’on a envie de boire. Personne ne veut produire des vins dont la moitié des bouteilles ne sont pas consommées. De nos jours, les consommateurs préfèrent des vins moins mûrs et moins extraits. Les viticulteurs produisent des vins plus frais et même dans le millésime 2022, chaud et sec, il y a suffisamment de fraîcheur pour satisfaire les consommateurs. La tendance est de produire des vins moins boisés, ce qui permet aux saveurs des cépages bordelais de s’exprimer pleinement.

Les consommateurs se fient aux conseils des sommeliers, des négociants, des rayons des supermarchés, des critiques et des influenceurs sur Instagram. J’ai une relation ambivalente avec le partage sur les réseaux sociaux et je ne cherche donc pas à jouer ce rôle d’influenceur. Je crains parfois de passer pour une personne trop voyante, mais nous ne pouvons pas ignorer les réseaux sociaux. Nous sommes tous interconnectés et avons le potentiel de nous influencer les uns les autres de diverses manières, souvent positives. Si Instagram permet à plus de gens de s’intéresser au vin, c’est une excellente chose. C’est certainement un outil puissant.

G : Comment décririez-vous vos goûts personnels ?

GH: Je décrirais mes goûts comme étant classiques. J’apprécie les vins qui sont faciles à boire, bien équilibrés et d’une fraîcheur éclatante. J’ai tendance à préférer les vins dont le taux d’alcool est inférieur à 13,5 %.

J’aime le champagne, le Bordeaux évidemment, et les vins d’Italie, en particulier de Toscane et du Piémont, mais j’aime aussi les vins d’Afrique du Sud et j’ai eu la chance de visiter le Chili et l’Allemagne au cours de l’année écoulée, ces deux pays produisant des vins exceptionnels. Mon goût est également influencé par mon amour des voyages, mais d’une manière générale, je bois des vins très variés, de l’Assyrtiko grec au Cabernet de Napa. Je goûte également les sorties de mars et de septembre sur la Place de Bordeaux, ce qui me permet d’essayer des vins incroyables du monde entier que je n’aurais pas eu l’occasion de goûter autrement, y compris ceux d’Australie et de Nouvelle-Zélande.

Changements climatiques 


Gerda : Que pensez-vous des vins biologiques et biodynamiques ?

GH : Les consommateurs se préoccupent de plus en plus de ce qu’ils mettent dans leur corps. L’alimentation biologique existe depuis longtemps, il est donc normal que les gens veuillent l’étendre à leurs habitudes de consommation de vin. Les gens veulent être mieux informés sur ce qu’ils boivent et il y a une préférence croissante pour les vins biologiques et biodynamiques, surtout dans une certaine gamme de prix. Au cours des dix dernières années, Bordeaux a fait de nombreux efforts en matière de viticulture raisonnée et de développement durable.

Toutefois, il est important de noter que l’agriculture biologique ou biodynamique à Bordeaux peut s’avérer difficile en raison du climat atlantique. Ce n’est certainement pas l’endroit le plus facile pour ce type de viticulture. Le temps humide peut présenter des obstacles et il y a de fortes chances que vous deviez sacrifier une partie de la récolte de temps en temps, ce que de nombreux viticulteurs ne peuvent pas se permettre de faire.

Outre les pratiques biologiques et biodynamiques, des efforts sont faits en matière de conditionnement durable : réduction du poids des bouteilles, utilisation de capsules respectueuses de l’environnement et de cartons recyclables, etc.

G : Comment faites-vous pour déguster plus de 50 vins par jour, surtout pendant la période des primeurs ?

GH : En réalité, pendant la campagne des primeurs, je goûte plus de 50 vins par jour et j’ai dégusté un grand nombre de 2022 deux fois. En quatre semaines, j’ai dégusté plus de 900 vins, ce qui est presque trop pour cette période, d’autant plus que tous ne seront pas vendus En Primeur.

Il est toutefois important d’avoir une vue d’ensemble de la qualité du millésime. C’est pourquoi j’aime aussi goûter les sélections de vins des négociants et des consultants. Ils apportent une certaine perspective et une approche de la qualité du millésime. Le contenu En Primeur reste important pour Decanter et la pression est forte pour fournir une indication précoce et approfondie de la qualité du nouveau millésime. L’année prochaine, je déciderai peut-être de déguster moins de vins En Primeur et plus de vins en bouteille.

G : Pouvez-vous nous parler d’une dégustation inoubliable ?

GH : J’ai de la chance car ces « dégustations inoubliables » semblent se produire tout le temps… Si je dois en citer une, je dirais la dégustation de 45 vins de Bordeaux 1982 au début de cette année. J’ai été invité à Vancouver, au Canada, à une dégustation organisée par James Killam, grand amateur et collectionneur de vins, afin de collecter des fonds pour le Dr Yuzhuo Wang et la recherche sur le cancer, à la suite du triste décès de l’épouse de James, emportée par un cancer. Tous les premiers crus étaient présents, ainsi que Petrus, Cheval Blanc, Figeac et Ausone. C’était incroyable et je n’oublierai jamais ce moment exceptionnel.

G : Que pensez-vous du système La Place de Bordeaux ?

GH : La Place de Bordeaux est un système fascinant et complexe avec beaucoup de règles, d’acteurs et de nuances. Il est tout à fait unique dans le monde du vin.

Il présente deux aspects différents. Tout d’abord, il s’agit d’un formidable outil de promotion pour Bordeaux, où tous les regards sont tournés vers les négociants à des moments clés de l’année, notamment lors de la campagne annuelle des primeurs. Le fait qu’un si grand nombre d’entreprises vendent votre vin en même temps est assez impressionnant.  Deuxièmement, c’est un fabuleux outil de vente pour les vins haut de gamme. Pour ces vins, La Place fait un excellent travail avec des négociants qui vendent dans plus de 100 pays. Sur le papier, cela représente un avantage considérable pour Bordeaux. Il s’agit d’un réseau ouvert où tout le monde peut avoir accès à de nombreux vins à n’importe quel moment. Les gens parlent de sa « capillarité », mais si quelqu’un à Singapour, par exemple, veut un certain vin de Bordeaux, Lafite 1982 disons, que le négociant à qui il s’adresse en stock ou non, il est certain qu’il le trouvera quelque part, l’achètera, le vendra et qu’il atteindra le client final. Sa portée est vraiment étonnante et elle exerce une influence considérable. C’est l’une des raisons pour lesquelles tant de vins étrangers cherchent à en faire partie.

Toutefois, le système ne fonctionne pas bien pour les vins qui ne sont pas recherchés, que ce soit en raison de mauvaises notes, d’un mauvais rapport qualité-prix, d’un manque de reconnaissance de la marque ou d’une période de turbulences sur le marché. La région de Bordeaux semble être en difficulté en ce moment. Les vins doivent avoir un bon rapport qualité-prix, même s’ils sont chers, et le prix est donc souvent discuté. Les crémants et les rosés sont populaires et peuvent donc constituer d’autres sources de revenus pour les domaines viticoles en difficulté. Bordeaux améliore également ses efforts en matière d’œnotourisme, ce qui ne peut qu’être bénéfique.

C’est une région viticole où il fait bon vivre et je vois tous les événements passionnants et amenant du progrès qui s’y déroulent, mais le message doit encore être transmis aux personnes qui pensent que Bordeaux n’est pas « cool ». Il faudrait aussi faire plus d’efforts pour faire entrer les vins de Bordeaux dans les restaurants.

 

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.