Madame Lise Latrille
Directrice Déléguée en poste depuis 2000
Château Prieuré Lichine
4ème Grand Cru Classé
Margaux
Gerda : Parlez-nous de vous..
Lise Latrille : Je suis arrivée au Château Prieuré-Lichine au début de l’année 2000 peu de temps après son acquisition par la famille Ballande fin 1999. Mon parcours est profondément ancré dans le monde du vin. À titre familial, nous possédions deux domaines viticoles à Jurançon. Par ailleurs, le père de mes enfants est propriétaire viticulteur sur la rive droite en appellation satellites de Saint Emilion. Mes débuts professionnels se sont faits aux côtés de Jean-Michel Cazes, au Château Franc Mayne, lorsqu’il était en charge des domaines d’AXA Millésimes. J’y ai passé une décennie avant de rejoindre l’équipe de Prieuré-Lichine.
Ma passion pour le vin est indéniable, nourrie par un appétit insatiable et une fascination pour l’harmonie entre mets et vins. Je considère le vin comme une matière noble, captivée par la manière dont il rassemble autour d’une table. Le vin détient un pouvoir incroyable à mes yeux.
G : Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés personnellement, dans la pratique de votre métier ?
LL : Mon principal défi actuel réside dans le domaine commercial : comment transmettre efficacement des messages positifs, expliquer les éléments distinctifs de Prieuré-Lichine alors que nous évoluons tous dans l’univers des Crus Classés où le niveau qualitatif est très élevé. Cette qualité est presque considérée comme acquise, ce qui ne constitue pas véritablement un avantage différenciant par rapport aux autres crus. Ainsi, comment mieux façonner l’identité de la propriété et accroître le niveau de désirabilité de la marque en France et à l’échelle internationale demeure une question centrale. Margaux est une appellation composée du plus grand nombre de Crus Classés. La question est donc de savoir comment trouver ma place au sein de cette grande famille, non pas en s’opposant aux autres, mais en mettant en valeur nos particularités et en communiquant ce message efficacement.
Prieuré-Lichine possède l’une des histoires les plus anciennes de l’appellation Margaux. Initialement créée par des moines Bénédictins, la propriété est restée entre les mains de l’Eglise même après la Révolution française. Son expansion s’est principalement réalisée grâce à l’action d’Alexis Lichine, qui a procédé à plusieurs acquisitions et échanges de parcelles. Nous bénéficions d’une véritable mosaïque de sols répartis sur les cinq communes de l’appellation, une caractéristique que peu de crus peuvent revendiquer. Cette grande variété de terroirs confère à notre vin sa complexité et son style distinctif.
Nous devons développer des actions pour faire briller la propriété, tout en préservant son identité fondamentale : être un vin accessible dans le sens noble du terme. Cette philosophie n’a pas changé depuis l’époque d’Alexis Lichine, et nous devons continuer dans cette voie.
Vendange 2023
G : Pourriez-vous me donner un souvenir des vendanges 2023 ?
LL : Cette année, nous avons mis un accent particulier sur la cohésion de notre équipe. Les vendanges ont été un moment de retrouvailles marquées par l’enthousiasme et le plaisir. L’atmosphère était empreinte de solidarité, un sentiment que nous n’avions pas toujours connu par le passé. Malgré les défis et le stress de la saison, la météo favorable nous a permis de gérer la récolte sans précipitation. Les vendanges se sont déroulées harmonieusement, sans la contrainte de l’urgence.
Néanmoins, nous avons dû faire face à une forte pression mildiou, et je tiens à rendre hommage aux équipes en place depuis longtemps dont l’expérience a été payante. Nous avons su éviter les pièges en intervenant aux bons moments sans compromettre le potentiel de la récolte. Le dévouement inébranlable de nos équipes a été remarquable. Qu’importe l’heure ou la proximité du week-end, elles étaient présentes pour défendre ce millésime. Chapeau à eux !
Cependant, face à ce type de situations, il est important de rester humble car il suffit de peu pour que la situation bascule. Dans l’ensemble, nous avons bien préservé nos merlots, qui sont souvent plus vulnérables aux attaques de mildiou. Nous accordons également une certaine importance à la présence dans notre assemblage du Petit Verdot, autour des 5%. Ce cépage a réellement fait la différence au fil des derniers millésimes, apportant dynamisme, énergie, fraîcheur et une note saline caractéristique de notre vin.
La marque Prieuré Lichine aujourd’hui et demain
G : Quel(s) positionnement(s) souhaitez-vous pour Château Prieuré Lichine ?
LL : Si je pouvais réaliser un vœu, je souhaiterais que Prieuré-Lichine devienne « LA » référence en matière d’excellence à Margaux. Bien sûr, il existe d’autres étiquettes prestigieuses, mais j’aimerais que Prieuré-Lichine incarne pour les consommateurs l’essence même de ce qu’un vin de Margaux devrait être.
G : Pourriez vous nous décrire comment Prieuré Lichine se distingue et en devient unique ?
LL : La délicatesse est vraiment un élément distinctif du Château Prieuré-Lichine. La finesse n’implique pas nécessairement une absence de profondeur ou de densité. C’est plutôt une perception de touches soyeuses, enveloppantes, d’un caractère élégant, velouté, et poudré du tanin. Le vignoble de Prieuré-Lichine est réparti sur cinq communes avec des terroirs très variés renforçant son côté unique dans l’appellation. Les merlots implantés à Arsac ou les cabernets à Labarde ne se comportent pas de la même manière que ceux situés à Soussans. Notre nouvel outil de vinification permet d’exprimer cette grande diversité parcellaire en récoltant chaque cépage, chaque parcelle à son optimum qualitatif et d’encuver les baies sans compromis de maturité. C’est grâce à la complémentarité de tous ces différents terroirs que l’expression de Prieuré-Lichine se distingue.
C’est également grâce à Stéphane Derenoncourt et son équipe, en particulier Julien Lavenu, son associé, que nous avons pu atteindre ce niveau de précision. Stéphane est toujours présent lors des assemblages et des prises de décision cruciales. Prieuré-Lichine a été sa première propriété sur la rive gauche en tant que consultant. Il a grandement contribué à la planification de la restructuration du vignoble. Pour moi, il incarne parfaitement l’esprit « Bourguignon ». Il insuffle toujours cette notion de précision, de définition, et une finesse construite autour d’une aromatique fruitée. Son expérience dans divers pays et terroirs est extrêmement enrichissante pour nous. Ils nous aident beaucoup à réfléchir à la manière d’extraire le meilleur sans compromettre notre identité, en recherchant l’harmonie et la meilleure expression possible de la diversité de nos terroirs.
Nous avons un noyau dur qui produit chaque année le Grand Vin, et nous nous efforçons de maximiser la performance du deuxième cercle. C’est un processus long et passionnant. Je pense que nous devons aller encore plus loin dans la notion de précision, pour l’améliorer continuellement et rendre sa lecture plus évidente pour le consommateur. Lorsque ce dernier déguste une bouteille de Prieuré-Lichine, il doit savoir qu’il s’agit bien du Prieuré-Lichine de Margaux. Pour moi, c’est la plus belle des reconnaissances. Il ne s’agit pas d’une puissance exubérante dès l’attaque, mais plutôt d’une harmonie générale, un équilibre global avec des finales savoureuses, fines et élégantes.
G : Vous m’avez présenté le vin Blanc du Château Prieuré Lichine, depuis quand le produisez vous ?
LL : Sacha Lichine a inauguré notre vin blanc en 1993, un assemblage classique des blancs secs bordelais avec une prédominance du Sauvignon Blanc 70% et 30% de Sémillon. Pour ce vin blanc, tout comme pour notre deuxième vin, Confidences de Prieuré-Lichine, nous avons instauré une politique tarifaire visant à rassurer le client et le consommateur final. Bien entendu, il peut y avoir quelques variations de prix selon les millésimes. Mais il est essentiel d’être cohérent avec cette évolution, tout en évitant de semer le doute chez le client. Nous voulons qu’il soit sûr du positionnement de ce type d’étiquette.
G : Laquelle de vos réalisations récentes aimeriez-vous partager auprès de la clientèle ?
LL : Au Château Prieuré-Lichine, nous sommes fiers d’accueillir le public 7j/7 pendant 9 mois de l’année, une tradition que nous avons toujours maintenue. Cette initiative lancée par Alexis Lichine, était révolutionnaire à l’époque. Dans les années 50 et 60, il était rare pour un Grand Cru d’ouvrir ses portes. Cette pratique est essentielle, car elle nous permet de sensibiliser et d’éduquer le consommateur final sur le profil de nos vins et l’univers des Crus Classés
G :Sur quels projets futurs travaillez-vous en ce moment ? (techniques, marketing, ou commerciaux) ?
LL : Nous sommes actuellement engagés dans le développement de notre vin blanc. De plus, nous travaillons sur deux projets relatifs à l’accueil, afin de donner encore plus de résonance à notre marque et de plonger davantage dans l’univers des Crus Classés. C’est un moyen très efficace de promouvoir notre marque et de fidéliser notre clientèle.
Par ailleurs, pour notre second vin, nous sommes en train de mettre en œuvre une refonte substantielle de notre packaging. Nous avons été parmi les premiers à adopter un modèle de coffrets cartons de six à plat entièrement automatisé. Nous travaillons également sur l’insertion de supports de communication à l’intérieur de ces cartons afin de raconter notre histoire. Tout cela nous permet d’aller encore plus loin dans la transmission de notre message.
G : Où en est votre propriété(s) en matière de « transition écologique » ?
LL : Quand on parle de « transition écologique », on pense instinctivement à l’utilisation des produits phytos et le positionnement par rapport à l’AB ou la biodynamie. Pourtant, cela va bien au-delà de ces aspects. Cela consiste notamment à examiner chaque étape du processus et à réfléchir à des moyens de réduire son impact. La plus récente initiative est l’utilisation de bouteilles allégées pour notre Second Vin et notre Haut-Médoc, ce qui diminue notre empreinte carbone sans altérer l’esthétisme du flacon.
Nous sommes certifiés HVE 3 (Haute Valeur Environnementale niveau 3) depuis le millésime 2018. À ce jour, nous n’avons pas choisi l’option de la certification bio car il faut mener en bio l’entièreté du domaine pour être certifié. Néanmoins, quelques îlots de notre parcellaire particulièrement morcelés sont travaillés selon un itinéraire AB, et notamment ceux à proximité des écoles par exemple.
Le commerce
G : Quelles sont vos priorités en termes de développement commercial ?
LL : Nous cherchons à mieux appréhender les attentes de nos clients, donc à être beaucoup plus proches de nos partenaires, les négociants ainsi que leurs équipes. Il est important de saisir ce qu’ils attendent de la marque Prieuré-Lichine et de son positionnement. Ce lien doit être fluide, dynamique et empreint d’enthousiasme pour faciliter la commercialisation du Château.
Je tiens particulièrement au mot « enthousiasme », car le vin est un produit festif. Le négoce constitue le premier échelon de la chaîne. Plus nous comprendrons la distribution de nos négociants, mieux nous pourrons les aider à promouvoir la marque Prieuré-Lichine.
Mes contacts avec les distributeurs, les clients du négoce et les consommateurs finaux, revêtent une importance capitale. J’ai constaté que bon nombre d’entre eux ignorent par exemple, que nous produisons également du vin blanc. Il est crucial de transmettre les informations de la propriété et de favoriser cet échange avec eux afin de progresser ensemble dans le développement commercial. Cela implique à la fois de soutenir les initiatives du négoce et de proposer des idées innovantes pour donner davantage de visibilité à la marque. Bien que le terme « partenaire » puisse être galvaudé, il est essentiel que cette relation soit bénéfique pour les deux parties (win/win).
G : Quels supports d’aide à la vente sont à disposition des distributeurs pour promouvoir vos vins ?
LL : J’ai enrichi mon équipe en accueillant Alexandra. Elle m’aide à établir des liens plus suivis et approfondis avec le négoce et le courtage. De plus, en tant que représentante de la nouvelle génération, elle contribue à la mise en place d’outils de communication plus modernes, plus adaptables et parfois plus ludiques. Nous cherchons à rendre notre communication plus attractive tout en restant fidèles à notre univers. Il n’y a rien de révolutionnaire dans cette démarche, mais nous essayons de moderniser notre approche et de la rendre différente.
G : A quel(s) millésime(s) le marché devrait s’intéresser ? Et pourquoi ?
LL : Le millésime 2014, bien que souvent négligé, se distingue par son élégance et son identité bordelaise affirmée. Ce millésime a été confronté à des conditions météorologiques complexes après le millésime 2013. Pourtant, je définirais le millésime 2014 comme ayant une aromatique fraîche sans pour autant être austère. C’est principalement son acidité qui lui confère cette fraîcheur, le rendant particulièrement attrayant. Ce millésime mérite d’être découvert, même s’il reste dans l’ombre des géants comme le millésime 2015, emblème par excellence de Margaux, mais qui a encore beaucoup à révéler. Contrairement à 2015, la gourmandise est immédiate pour le 2014, qui offre également un excellent rapport qualité-prix.
G : Quelle est votre politique concernant les sorties commerciales ?
LL : Notre objectif initial était de vendre 85 % de la récolte en Primeurs. Cependant, depuis quelques temps nous avons décidé de conserver un certain volume pour les ventes en livrables. Cela nous permet de montrer l’évolution de nos vins et de mieux illustrer le potentiel de Prieuré-Lichine dans le temps. Actuellement, nous vendons 75 % en Primeurs. Nous commercialisations le second vin au premier trimestre de l’année.
Pour les livrables, je préfère travailler sur demande avec certaines maisons sur un millésime spécifique. Je ne suis pas convaincue de l’intérêt de mises en marché livrables généralisées à ce jour. Proposer des offres sur mesure me parait plus adapté et permet de renforcer les liens avec le négoce.
La bouteille de cœur de Lise Latrille
G : Si vous aviez une seule bouteille de cœur ?
LL : À mon avis, le millésime 2022 est la bouteille la plus aboutie de l’histoire de Prieuré-Lichine. Celui-ci possède un petit supplément d’âme que les autres n’ont jusqu’alors pas révélés. L’équilibre est parfait, le vin harmonieux. Les contours de ce millésime se dessinent comme une esquisse, imprégnés d’une émotion subtile et inexplicable.
Il y a quelque chose d’extraordinaire dont on ne parle pas assez à Bordeaux. L’évolution climatique et la façon dont le vignoble y résiste, malgré des aléas climatiques de plus en plus imprévisibles. Lorsque l’on aborde ces sujets, on remet en question la notion de suprématie du terroir et son essence même. Pourtant, il est crucial de continuer à défendre cette suprématie. Nos terroirs et le millésime 2022 en sont la preuve, ils possèdent ces caractères magiques qui leurs permettent de s’adapter, de se réguler et de pouvoir atténuer les excès, tant en période de chaleur excessive que de froid intense.
Ils ont cette capacité à offrir quelque chose de particulièrement spécifique en fonction du millésime, ce qui les rend exceptionnels. À l’image de grands athlètes qui, confrontés à des conditions extrêmes, parviennent à s’adapter et à exceller malgré les défis rencontrés.
Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.