Inside La Place: 3 interviews croisées En coulisse, les Financements de la filière Vins à Bordeaux (étape 1/3)


« Nous nous engageons à soutenir l’évolution du secteur viticole bordelais »

Eric Garreau 

Directeur du Pôle Viticulture et Grandes Entreprises du Vin

Crédit Agricole Aquitaine


Gerda :  Pouvez-vous nous parler du pôle marché de la viticulture et de votre rôle ?

Eric Garreau : En 2005, après avoir été directeur du groupe de Saint Emilion, j’ai été sollicité par le directeur général de l’époque pour créer et structurer une filière viticole au sein du Crédit Agricole. L’idée derrière la création de cette branche était simple : se spécialiser pour apporter davantage de conseil à nos clients et s’installer comme un partenaire du quotidien, de développement, de l’exportation et des sujets stratégiques et capitalistiques. Par exemple, nous avons un taux de pénétration de 80% dans la filière de production, et un taux de 75% pour les Grands Châteaux. Nous sommes également très présent auprès des négociants.

Aujourd’hui, notre équipe est composée au total de 60 collaborateurs qui se concentrent sur le secteur du retail, dont 15 collaborateurs travaillant exclusivement avec des châteaux, des négociants, courtiers et quelques acteurs parallèles. Tous nos collaborateurs ont été formés au WSET, et les 15 collaborateurs travaillant sur le segment « corporate » ont tous le niveau 3 du WSET. Ce pôle est unique au monde, notamment à Bordeaux, où nous avons une concentration exceptionnelle de vignobles couvrant 100 000 hectares et abritant plus de 250 Crus Classés ou assimilés de grande renommée. Il n’y a aucun endroit dans le monde avec cette spécificité viticole que nous avons ici à Bordeaux. Cette spécificité n’existe ni chez les autres banques, ni dans les autres Caisses Régionales Crédits Agricoles.

 

G :  Pouvez-vous nous donner un aperçu du rôle des banques dans le soutien de l’industrie viticole bordelaise ?

EG : Le premier rôle du banquier est d’accompagner l’économie et le développement de son territoire, donc évidemment de la filière viticole sur notre région. Cependant, cette filière présente une particularité : c’est un métier très capitalistique et qui nécessite une vision à long terme. Lorsqu’un viticulteur plante des vignes, il doit réfléchir à une multitude de paramètres qui l’engagent sur une longue durée, tels que le choix des porte-greffes, du cépage, de  l’emplacement des vignes et des diverses  installations. Pour accompagner au mieux nos clients nous devons comprendre ces problématiques, il est donc essentiel pour nous d’être présents sur les marchés, de suivre l’économie viticole et de nous intégrer pleinement à cet écosystème.

Cette présence nous permet d’être un acteur avisé des orientations stratégique que nos clients nous proposent, nous nous inscrivons comme des partenaires à long terme. Aujourd’hui, nous essayons d’accompagner nos clients dans l’adaptation de leurs produits et de développer une relation solide avec le négoce pour anticiper les besoins futurs. La viticulture bordelaise est complexe, et nous nous efforçons de mettre en place des financements adaptés à chaque intervenant. Le financement d’aujourd’hui créera la valeur de demain.


Impact Economique du Vin Dans Notre Région

G : Comment voyez vous l’évolution de la filière sur les prochaines années ?

EG : Depuis plus de 15 ans, nous observons une baisse de la consommation, due en partie à des changements dans les modes de consommation. La France reste le deuxième pays consommateur de vin au monde, avec 55% de notre production française et bordelaise vendue sur le marché national.

En 1970, la consommation par habitant était de 120 litres, quand la population mondiale comptait 4 milliards d’habitants. Aujourd’hui, avec une population mondiale de 8 milliards, la consommation en France est tombée à 32 litres par habitant !

Le contexte géopolitique n’aidant pas, la guerre en Ukraine a aggravé la situation en augmentant le coût de l’énergie, des intrants et de nombreux produits, entraînant une inflation significative, de 8 à 15 % dans certains pays, ainsi qu’une augmentation rapide des taux d’intérêt. Ces facteurs affectent le pouvoir d’achat et, puisque le vin n’est pas une boisson de première nécessité, nous observons une diminution de sa consommation dans tous les pays, et une tendance chez les jeunes à ne pas s’y intéresser. La consommation mondiale de vin est passée de 245 millions d’hectolitres en 2017 à moins de 221 millions d’hectolitres aujourd’hui. Il est également vrai que la production mondiale diminue.

Certains pays réagissent beaucoup plus vite que nous en France. En Australie et dans la Napa Valley, on arrache des vignes non seulement en raison des problèmes de commercialisation, mais aussi à cause des problèmes d’eau. On estime qu’en France, il faudrait arracher entre 80 000 et 100 000 hectares de vignes pour adapter notre production à notre capacité de commercialisation.

Mais il faut rester optimiste : le marché du vin dans le monde représente 340 milliards de dollars, dont 40% des volumes se sont échangés. Oui, la consommation baisse, oui nous devons réajuster les moyens de production en fonction de la demande. C’est pourquoi il y a et il y aura des arrachages, mais le marché est toujours là. En regardant avec optimisme la consommation d’alcool dans le monde, on s’aperçoit que le vin représente seulement 8% de cette consommation. Il y a donc encore une marge de progression.


Financement & Investissement 

G :Quels sont les principaux défis auxquels les propriétaires de vignobles et les négociants font face ?

EG :  La filière viticole doit faire face à une question cruciale : celle de la rentabilité. Comment un viticulteur peut-il rester compétitif tout en assurant sa rentabilité et en vivant confortablement de son activité ?

A Bordeaux il n’y a pas qu’une seule viticulture. Il y a le segment des Grands Crus Classés, le segment entre 5 et 15 € qui produit de très bons vins et les vins génériques. Dans chacun de ces 3 segments il y a encore 3 sous-segments : premium, intermédiaire et l’entrée de gamme.

Un autre défi majeur concerne l’environnement et l’adaptation des produits aux nouvelles habitudes de consommation. Il y a aussi, la question de la pyramide des âges des viticulteurs et de la transmission de leurs exploitations. Il est crucial de s’adapter au monde de demain, qui sera différent et évoluera rapidement.

G :  Comment jugez-vous l’état financier de La Place de Bordeaux ?

EG :  L’état financier de La Place est complexe en raison de la diversité des intervenants. Il est important de rester vigilant pour ne pas alimenter des craintes existantes. Le métier de banquier repose sur une grande confidentialité. La rapidité de l’augmentation des taux d’intérêt impacte les coûts de portage, tant pour les propriétés que pour le négoce, ce qui influence les stratégies mises en place. Cette hausse des coûts de portage n’est problématique que si elle survient dans un contexte de faibles marges et est subie plutôt que planifiée. Certains acteurs ont intégré ces changements dans leurs stratégies, leurs permettant de mieux s’adapter au contexte actuel, tandis que d’autres en souffrent.

La baisse de consommation de vin, qui a atteint entre 6 à 8 % au cours des deux dernières années, affecte tout le marché. Le secteur de l’exportation est particulièrement perturbé. Par exemple, en février 2018, la Chine continentale, qui avait importé 618 000 hectolitres de Bordeaux, n’en importe aujourd’hui plus que 226 000 hectolitres. Comme je vous l’ai dit, c’est la hausse rapide des taux d’intérêt qui a surpris le marché et il est difficile d’adapter les prix pour conserver les marges.

La montée rapide des taux d’intérêt a surpris le marché, compliquant l’adaptation des prix pour maintenir les marges bénéficiaires. Les taux d’intérêt proches de zéro pendant une période prolongée ont créé une situation anormale. Financer l’économie à des taux aussi bas n’était pas soutenable à long terme. Ce phénomène a conduit à une période où les marges étaient inexistantes, car l’argent avait peu de valeur. Cette transition brutale a révélé les limites d’un modèle économique qui n’était pas viable sur le long terme. La Place de Bordeaux se trouve désormais dans une situation plus contraignante, nécessitant une réévaluation et une adaptation de ses pratiques. Tout cela soulève également des questions :

Pour les Grands Châteaux : comment assurer une fluidité dans les ventes de leurs vins sur La Place ?

Pour les Petits Châteaux, la question est de savoir si le profil de leur produit est encore adapté à la gamme dans laquelle ils se situent ? Certains se sont peut-être trop appuyés sur la dénomination « appellation d’origine contrôlée », dont les cahiers des charges ne correspondent pas toujours aux préférences actuelles des consommateurs.

Les attentes ont évolué, et les Châteaux qui s’adaptent en produisant des vins avec des profils et des gammes diversifiés, au-delà des standards traditionnels de Bordeaux, sont mieux placés pour répondre à ces nouvelles attentes. Dans le marché actuel, le client est roi. Il est essentiel d’animer sa marque, de la rendre attractive et désirable, et de communiquer différemment pour capter l’intérêt des consommateurs. Les acteurs de la filière viticole doivent se montrer flexibles et innovants pour rester pertinents et compétitifs dans un environnement en mutation rapide


Tendances & Innovations

G : Avez-vous observé des tendances ou des innovations notables dans les demandes de financement de l’industrie viticole ces dernières années ?

EG :  Les nouvelles demandes de financement peuvent viser à limiter l’empreinte carbone. Il faut savoir que dans tous les financements que nous mettons en place, nous avons intégré des normes de RSE, des critères qualitatifs qui permettent de savoir si le viticulteur s’est engagé dans cette réflexion. Nous les incitons financièrement en leur accordant une bonification et pour ceux qui ne sont pas dans cette démarche, nous leur fournissons les références de personnes pouvant les aider dans cette démarche.

G : Comment voyez-vous la distribution des vins par La Place de Bordeaux ?

EG : La Place de Bordeaux est unique au monde. Le fait qu’une partie des richesses des marques distribuées reste sur La Place de Bordeaux est une bonne chose. Cependant, cela ne doit pas se faire au détriment des Châteaux de notre territoire. Nous ne pouvons toutefois pas occulter que nous sommes dans un marché ouvert et libre. Plus La Place sera puissante, mieux ce sera pour tout le monde. Nul n’a besoin d être convaincu que Bordeaux est un territoire propice à produire des grands vins. Nous avons deux bannières extraordinaires sur notre territoire : la bannière Bordeaux et la bannière France. Cette dernière n’est à mon sens pas assez mise en avant, contrairement aux Italiens qui savent valoriser leur production nationale. La France produit des aliments superbes, reconnus dans le monde entier. Cependant, nous sommes aujourd’hui trop individualistes dans nos démarches pour conquérir les consommateurs. Peut-être que dans le passé, il n’était pas nécessaire de jouer le collectif, mais le marché a changé. Il faut davantage jouer collectif, et la part de marché sera plus grande pour tout le monde. J’en suis convaincu.


Marchés Internationaux

G : Quel rôle les banques jouent-elles pour aider les propriétés et négociants à naviguer dans ces conditions ?

EG : Nous rappelons à nos partenaires les fondamentaux : diversifier leurs sources d’approvisionnement et leurs clients par pays, se garantir sur les marchés d’export et respecter les plafonds alloués sur ces garanties. Ensuite, nous accompagnons les négociants ou les Châteaux dans leurs démarches à l’étranger en mettant à leur disposition nos représentants installés dans plus de 60 pays. Ces représentants assistent nos clients dans l’élaboration de stratégies adaptées à chaque marché en les mettant en relation avec des acteurs locaux comme des avocats d’affaires et des importateurs si besoin.  Ce réseau permet à tous de rayonner, avec pour condition que nos clients soient préparés avant de rencontrer  les importateurs  : ont-ils réalisé le minimum requis pour démarcher ces pays ? Ont-ils préparé leurs documents de présentation dans la langue locale ? Ont-ils des échantillons ? Le profil de leurs produits correspond-il aux attentes des consommateurs. Le marché de l’export n’a pas fondamentalement changé. La compétition reste intense.

Ce qui est essentiel, c’est d’aller à la rencontre de ses clients, de les comprendre et de répondre à leurs attentes. Il faut saisir ce que recherchent non seulement nos clients directs mais aussi leurs consommateurs finaux. Bien sûr, nos très Grands Châteaux ont des configurations spécifiques, mais tous doivent s’adapter et bien connaître leurs marchés pour susciter la désirabilité de leurs produits.

Ce qui a évolué, ce sont les méthodes de contact et d’interaction avec nos clients. Ce qui reste immuable, c’est l’importance du lien personnel. Il est crucial d’oser contacter nos clients, de créer de fortes relations durables avec eux. Le commerce du vin ne se limite pas à une vente unique ; chaque année apporte une nouvelle récolte et nécessite de continuer à entretenir cette relation avec les clients.


Vision Future

G : Beaucoup de propriétés ont été vendues aux investisseurs Chinois. Voyez-vous un autre profil d’acheteurs ces derniers temps ?

EG : Bordeaux a une longue tradition d’accueil, ayant attiré au fil du temps de nombreux Anglo-saxons, Japonais et investisseurs institutionnels. Plus récemment, l’ouverture du marché chinois a amené un certain nombre d’investisseurs chinois à acquérir des propriétés. Cependant, sur les 9000 châteaux à Bordeaux, seulement 200 ont été achetés par des Chinois, ce qui reste relativement limité. Actuellement, aucun nouveau profil d’acheteur ne semble émerger de manière significative. Nous continuons à attirer des capitaines d’industrie intéressés par des châteaux spécifiques ainsi que des investisseurs à la recherche de diversification pour leurs actifs. L’attrait du vin demeure toujours puissant.


Message aux Clients & Partenaires

G : Sans rentrer dans les détails et sans vous engagez, comment jugez-vous la situation financière de RCA ?

EG : Vous dites à Roland de m’appeler (en riant)…Roland a su anticiper de nombreux points que j’ai évoqués. Lui et son équipe sont proches de leurs clients, Ils proposent une offre diversifiée, sont engagés dans la distribution et dynamisent rapidement les marques. Son approche est cohérente par rapport à son modèle économique. Chaque entreprise doit avoir un axe très fort pour réussir.

Premièrement, un leader charismatique, possédant une vision et une ambition. Il doit rassurer et trouver les moyens pour faire fructifier l’entreprise.  Lorsqu’on a une vision claire, on est généralement capable d’assumer ses ambitions. Pour développer une vision, il faut être en phase avec le marché. C’est lorsque plusieurs personnes partagent ces visions que le marché se dirige dans cette direction. Certains entrepreneurs ont une longueur d’avance sur les autres, et Roland Coiffe fait partie de ceux-là. La force de La Place de Bordeaux réside dans sa capacité à regrouper différents modèles économiques. Au sein des entités de production, certaines réussissent mieux que d’autres, même avec les mêmes terroirs. Les entités qui réussissent, tout comme les autres acteurs de La Place de Bordeaux, sont dirigées par des leaders qui analysent, qui insufflent leur passion, qui parviennent à gagner la confiance et à susciter la désirabilité de leurs produits.

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.