« Nous sommes des partenaires de La Place & nous nous inscrivons sur le long terme »
Nous vous présentons ici le dernier volet de notre trilogie dédiée aux finances de la filière du vin à Bordeaux.
Messieurs Jean-Renaud Dallay, Directeur Marché Entreprises du CIC Sud-Ouest, Mathieu Brunel, Directeur d’Agence Entreprises et Vincent Castro, Chargé d’Affaires Entreprises de la banque CIC Sud-Ouest, reviennent sur l’importance de la collaboration entre les banques, et les entreprises de la filière, pour assurer leurs financements à long terme.
Gerda : Pouvez-vous nous donner un aperçu du rôle des banques dans le soutien de l’industrie viticole bordelaise ?
Jean-Renaud Dallay : Nous sommes présent sur l’ensemble de la chaine de valeur de l’industrie viticole, nous avons parmi nos clients des fournisseurs, des producteurs, des courtiers, des négociants, des cavistes. Nos encours de financements sont assez concentrés vers les « grandes propriétés » et les négociants. Nous accompagnons nos clients en finançant leurs projets d’investissements qui peuvent concerner les acquisitions de foncier, les plantations, les investissements dans les matériels, les chais, nous sommes aussi très présents dans les financements de portage de stocks ou de cautions primeurs. Nous intervenons aussi avec des équipes dédiées sur les opérations structurantes d’acquisitions de propriétés de transmissions familiales…
Mathieu Brunel : Nous allons même jusqu’à l’accompagnement de nos clients à l’international. C’est une des forces la force de notre groupe.
JRD : Oui, le CIC Sud-Ouest est une banque qui appartient au Groupe Crédit Mutuel Alliance Fédérale qui est l’un des plus grands groupes bancaires français et européen.
Leur champ d’intervention est assez large et dépend de la mission qui leur ait confiée. Ils permettent par exemple d’identifier de nouveaux clients sur un marché donné, de trouver des fournisseurs, des conseils fiables, d’accompagner de nouvelles implantations tant sur le plan industriel que RH. Notre engagement à accompagner nos clients dans leurs activités internationales est profondément ancré dans notre approche.
Impact Economique du Vin Dans Notre Région
GB : Comment évaluez-vous l’impact économique de l’industrie du vin sur la région bordelaise ?
JRD : L’impact économique de l’industrie du vin sur la région bordelaise est très important pour notre territoire et multidimensionnel. Il y a bien sûr les propriétés viticoles et les maisons de négoce, qui sont des acteurs majeurs de l’économie régionale mais aussi toutes les activités qui gravitent autour que ce soit les fournisseurs d’intrants, de matériels, la main-d’œuvre agricole, les réseaux de cavistes. La construction de chais pour certains spectaculaires par certaines grandes propriétés a aussi soutenu l’activité d’entreprises de construction et de cabinets d’architectes spécialisés.
MB : Le chiffre d’affaires de l’industrie du vin dans la région se situe entre 4 et 4.5 milliards d’euros par an, générant de nombreux emplois locaux et alimentant l’économie bordelaise en liquidités. Contrairement à d’autres industries, comme l’aéronautique, dont le chiffre d’affaires peut être réalisé en grande partie à l’extérieur, la filière viticole génère et maintient sa valeur sur place. Cela se traduit par une forte rentabilité locale, similaire à celle du tourisme, ce qui permet non seulement de soutenir l’économie régionale, mais aussi de valoriser et de préserver le patrimoine culturel de Bordeaux.
GB : Comment jugez-vous l’état financier de la Place de Bordeaux ?
JRD : Difficile de généraliser car notre filière englobe différents univers. Il y a de grandes propriétés qui peuvent être adossées à de grandes familles ou à de grands groupes. Même si elles doivent porter les vins, elles disposent des ressources nécessaires, ce qui ne pose pas de difficultés majeures. Pour les plus petites propriétés, c’est souvent plus compliqué notamment pour celles qui vendent essentiellement à la grande distribution. Ces propriétaires sont souvent étranglés par l’augmentation des coûts de production (matières sèches, salaires, etc.) et n’ont pas la capacité de répercuter ces hausses de prix.
Entre ces deux extrêmes, il y a des propriétés qui vendent moins bien et doivent faire face à l’augmentation des coûts. La situation n’est pas simple. Nous avons notre rôle à jouer en les accompagnant pour les aider à passer ce cap.
Quant au négoce, certains opérateurs avaient profité de la période post covid pendant laquelle le cout de l’argent était proche de zéro pour se constituer des stocks stratégiques qui avaient vocation à être portés pour être valorisés plus tard. Cette stratégie est aujourd’hui mise à mal car l’Euribor l’indice CT de référence est aujourd’hui proche de 4% avec quelques perspectives de baisse, mais il ne reviendra jamais à ce que nous avons connu. L’argent gratuit, c’est terminé ! Cette augmentation brutale des taux d’intérêts court terme a eu une répercussion directe sur le coût de portage des vins et donc la marge. La dernière campagne primeurs dont les prix de sortie ont été fortement revu à la baisse alors que le millésime est très qualitatif pose la question de la valorisation dans les stocks des précédents millésimes achetés trop chers. Il ne faudrait pas que cette tendance déflationniste se poursuive sauf à remettre en question le modèle des primeurs, quel intérêt de porter du vin pour le vendre au même prix dans deux ou trois ans ?
Des crises, il y en a eu d’autres. Nous accompagnons nos clients dans les bons moments, mais aussi dans les périodes plus difficiles. Nous sommes des partenaires de La Place et nous nous inscrivons sur le long terme.
Financement & Investissement
G : Quels sont les principaux défis auxquels les propriétaires de vignoble et les négociants font face ?
JRD : Nous ressentons beaucoup d’inquiétude chez nos clients. La récente augmentation brutale des taux d’intérêt a eu un impact significatif. Les propriétés et les négociants, qui portent des stocks importants sur plusieurs années, voient désormais leurs coûts de portage considérablement augmenter. Alors que le taux de l’Euribor était auparavant à 0 %, il est maintenant proche de 4 %. Cette hausse du coût de portage qu’il est bien difficile de répercuter sur le prix final dans le contexte de marche que nous connaissons vient donc directement impacter la marge et déstabilise le marché.
Le changement climatique est un autre défi auquel les viticulteurs doivent faire face, il a un impact sur le produit avec par exemple une tendance à l’augmentation du taux d’alcool mais aussi sur les rendements qui sont impactés par les aléas climatiques (sécheresse, gelées, grêle, mildiou…). Les contraintes liées à la RSE ont aussi des conséquences sur les coûts de production et les besoins d’investissements.
On ressent aussi un certain « désamour » pour Bordeaux détriment de vins d’autres Régions. Comment peut ont justifier que même ici, à Bordeaux, certains restaurants n’ont pas de vins de Bordeaux sur leur carte. Ce n’est pas acceptable ! Nous devrions être fiers de nos produits. Il faut trouver une solution pour promouvoir notre terroir et réussir à attirer cette jeune génération qui consomme le vin différemment. À Bordeaux, nous sommes assez conservateurs par nature, ce qui a ses avantages, mais pour cette génération, le vin peut doit se boire plus frais, plus fruité, et être plus simple en apéritif. Il faut séduire le consommateur de demain. Tous ces phénomènes, initiés depuis longtemps, ont un impact très important aujourd’hui sur la filière.
MB : Il faut casser les anciens codes. Il y a aussi un changement de goût. Le marché demande des vins moins « boisés » avec plus de vivacité, ce qui demande un changement de logistique, et le problème est que le monde du vin évolue lentement. Les décisions prises aujourd’hui auront un impact dans 10 ou 15 ans, mais les goûts ont déjà changé. Il y aura une transition sur la manière dont la filière va évoluer avec ces nouvelles tendances.
Il faut également dire que nos vins ne sont pas chers. Parfois, nous avons ce côté français de nous dénigrer. Nous devrions être fiers de ce que nous produisons et apprendre à jouer davantage sur la notion de marque. Pour moi, ce n’est pas uniquement une question de prix. En jouant uniquement sur les prix et la baisse, nous faisons fausse route et nous étranglons tous les acteurs du marché, réduisant ainsi les marges et déstabilisant le consommateur.
Tendances et Innovations
GB : Avez-vous observé des tendances ou des innovations dans les demandes de financement de l’industrie viticole ces dernières années ?
JRD : Nous sommes capables de proposer des financements avec des taux bonifiés lorsqu’ils sont affectés à des investissements ayant un impact positif sur l’empreinte carbone. S’agissant du financement du portage des stocks, pas d’innovation majeure, nous continuons à adosser nos financements court terme ou moyen terme sur la valeur des stocks. Les besoins dans ce domaine n’ont pas beaucoup évolué si ce n’est que dans le contexte que nous connaissons les stocks tournent moins vite, les besoins de financements de portage augmentent donc que ce soit au niveau du négoce et/ou des propriétés.
MB : Oui, En termes de typologie des demandes, elles restent similaires, mais les montants globaux des budgets sont beaucoup plus importants qu’auparavant. Nous avons toujours des demandes pour le portage, la construction de chais, la plantation de vignes, l’achat d’outils viticoles, etc. La grande différence réside dans l’augmentation significative des montants de financement demandés. La véritable innovation de financement ces dernières années a été les prêts bénéficiant de taux bonifiés dès lors que l’objet financé à un impact positif sur la RSE.
Marchés Internationaux
GB : Quel rôle les banques jouent-elles pour aider les négociants et les propriétaires à naviguer dans les fluctuations des marchés ?
JRD : La notion de conseil me semble ne pas correspondre à la réalité. Nous, au CIC Sud-Ouest, restons avant tout des banquiers généralistes. Ce sont nos clients les plus experts. Les solutions, ils les connaissent mieux que nous. Ils savent bien qu’il faut se diversifier, exporter, valoriser son produit par le prix etc. Notre travail c’est d’accompagner ces projets dans de bonnes conditions pour la banque et le client en intégrant par exemple dans les prévisions les aléas climatiques (provision d’une demie récolte tous les 4 ou 5 ans) et d’accompagner nos clients dans leurs projets.
Vincent Castro : Nous pouvons donner des pistes de réflexion, tout ce qui va dans le sens du client, comme la diversification et la répartition du risque. Nous pouvons également conseiller aux propriétaires de penser à offrir leurs produits à d’autres négociants, à s’ouvrir à d’autres pays s’ils sont trop concentrés sur quelques zones géographiques.
JRD : La partie conseil se concentre uniquement sur les aspects que nous savons maîtriser.
Si un gros projet d’investissement est à l’étude auprès d’un de nos clients, nous pouvons intervenir en apportant notre expertise sur la structuration de l’opération, nous pouvons donner des indications sur ce qui sera « finançable » par une banque de ce qui ne le sera pas ou plus difficilement. En cas d’acquisition de propriétés, de parcelles, d’opération de transmission, de recomposition du capital, nous faisons intervenir nos spécialistes (ingénieurs patrimoniaux, chargés d’affaires financements structurés) qui apportent leur savoir-faire.
G : Beaucoup de propriétés ont été vendues aux investisseurs Chinois. Voyez-vous un autre profil d’acheteurs ces derniers temps ?
JRD : Nous observons depuis de nombreuses années un intérêt soutenu des investisseurs institutionnels pour Bordeaux.
Ces investissements de grands groupes dans les propriétés du bordelais ont contribué à une inflation importante des prix du foncier. Pendant cette période de nombreuses propriétés ont changé de mains, certaines ont été rachetées à des familles qui les détenaient depuis plusieurs générations. En France les valeurs de transmission de ces propriétés sont basées sur la valeur du foncier.
Or il existe souvent un écart important entre la valeur de l’actif et les revenus qu’il dégage ce qui rend complexe et parfois impossible le rachat des parts entre frères et sœurs. Si nous voulons que ces propriétés restent familiales alors il est essentiel d’anticiper et d’utiliser tous les leviers juridiques et fiscaux qui permettent de transmettre tout en bénéficiant d’abattements et d’exonérations. Les banques comme les conseils avocats, notaires ont tout leur rôle à jouer dans ces opérations.
G : Sans rentrer dans les détails et sans vous engagez, comment jugez-vous la situation financière de RCA ?
VC : C’est un acteur majeur sur le marché qui a connu une réussite remarquable au cours des 15 dernières années. Il est un partenaire de longue date du CIC.
JRD : En effet, nous sommes fiers d’avoir accompagné Roland Coiffe depuis ses débuts. C’est une société de négoce dont le parcours est exceptionnel. Il y a peu d’équivalent. Pour nous, elle constitue une référence.
Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE« davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.