Gerda Béziade : Visiter les châteaux du Bordelais pendant les vendanges est toujours une expérience captivante et un véritable plaisir. L’atmosphère y est vibrante, et il est merveilleux de sentir les premiers arômes du nouveau millésime commencer à parfumer les chais. C’est le moment où le fruit d’une année de travail minutieux est récolté dans les vignes, un temps fort pour les châteaux, où chacun retrousse ses manches. Les heures ne comptent plus, il faut travailler sans relâche. L’enjeu ne concerne cependant pas uniquement les châteaux : toute la filière s’interroge déjà sur ce que ce nouveau millésime nous réserve.
Nous nous sommes plongés pendant quelques jours dans cette effervescence pour avoir un premier aperçu du millésime 2024 et échanger avec les artisans passionnés qui œuvrent derrière ces grands vins. Le premier verdict tombera lors de la Semaine des Primeurs, organisée par l’Union des Grands Crus, du 14 au 17 avril 2025.
L’année 2024 a été marquée par des conditions météorologiques complexes. Bordeaux a connu un hiver et un printemps pluvieux, tandis que l’été indien s’est fait désirer. Face à cette météo capricieuse, chaque détail de la gestion des vignes s’est révélé crucial pour atteindre une maturité optimale et une homogénéité parfaite. Ensuite, grâce à des investissements conséquents dans les chais, les châteaux peuvent poursuivre cette approche minutieuse initiée dans les vignes et appliquer un travail rigoureux durant les vinifications et l’élevage afin de sublimer leurs terroirs exceptionnels.
Domaine de Chevalier, Cru Classé de Graves
Ma première visite s’est déroulée au Domaine de Chevalier, Cru Classé de Graves, où j’ai été accueillie par Adrien Bernard. Avec une grande franchise, il m’a confié qu’ils avaient décidé de suspendre leur démarche en viticulture biologique cette année. « Nous sommes viticulteurs, négociants, mais aussi entrepreneurs, avec une responsabilité non seulement envers notre famille, mais aussi envers nos employés », m’a-t-il expliqué. « Il est arrivé un moment où nous avons dû prendre la décision de préserver la récolte, en sortant du cadre autorisé par la viticulture biologique pour le traitement de nos vignes. Ce fut une décision difficile, mais nous n’avions pas le choix. »
Château de Fieuzal, Cru Classé de Graves
Je ne pouvais pas passer à côté du Château de Fieuzal, Cru Classé de Graves, qui s’est imposé pendant la campagne des Primeurs 2023 comme l’un des incontournables en termes de rapport qualité prix. La qualité du vin est exceptionnelle, notamment grâce au talentueux Stephen Carrier, épaulé par le consultant de renom, Thomas Duclos. Ce dernier apporte une réelle valeur ajoutée pour ce nouveau millésime, pour lequel le travail préparatoire a été crucial.
Château Carbonnieux, Cru Classé de Graves
Le Château Carbonnieux, Cru Classé de Graves, est une propriété emblématique dont l’histoire récente est liée au grand-père de Philibert Perrin, Marc Perrin, qui en fit l’acquisition en 1956. Cette année, les vendanges des blancs se sont déroulées dans de bonnes conditions. Cependant, une sélection plus rigoureuse du sémillon blanc entraînera une baisse de rendement d’environ 15 %.
Concernant les rouges, comme l’explique Philibert Perrin, le domaine a déjà acquis de l’expérience en vendangeant dans des conditions peu favorables. « Nous ferons de notre mieux, avec une sélection tout aussi stricte pour les rouges, afin de produire le meilleur vin possible », affirme-t-il.
Philibert Perrin
Château Valandraud, 1er Grand Cru Classé Saint-Émilion
J’ai traversé la Gironde pour recueillir quelques impressions des vendanges sur la rive droite. Ma journée a débuté par un café et une discussion avec Jean-Luc Thunevin, propriétaire du Château Valandraud, Premier Grand Cru Classé de Saint-Émilion. Lors de notre conversation, il a répété ce qu’il m’avait dit en juin 2023, quand il se décrivait comme «angoissé mais positif », insistant sur l’importance de ne pas s’enfermer dans une seule idée pour atteindre de bons résultats. Fidèle à son pragmatisme, Jean-Luc a également décidé de suspendre la viticulture biologique pour ce millésime, un choix dicté par la volonté de relever les nombreux défis posés par les conditions de cette année et d’assurer la qualité de son vin.
Vignes au Château Valandraud
Château Ausone, 1er Grand Cru Classé Saint-Émilion
Je suis ensuite montée sur la magnifique colline de calcaire du Château Ausone pour passer un moment avec Edouard Vauthier, qui en est co-propriétaire. Son père Alain, un grand visionnaire, avait mis en place le tri densimétrique dès le millésime 2010. Ce tri de haute précision est parfaitement adapté à la sélection des merlots et assure une vinification plus précise et cohérente, en ligne avec l’excellence recherchée à Ausone et dans les autres domaines de la famille Vauthier. Après le tri, les raisins sont placés dans des petites cuves de 660 hectolitres, puis maintenus à une température de 4 °C grâce à l’utilisation de carboglace, pendant plusieurs jours. Ce procédé offre un réel confort de travail pour toute l’équipe, permettant de travailler sans précipitation, avec pour seul objectif d’extraire le meilleur des raisins. Tout est minutieusement pensé pour garantir une qualité optimale, sans se presser.
Château Laroque, Grand Cru Classé Saint Emilion
Depuis que j’ai rejoint l’équipe de Roland Coiffe, j’ai eu l’opportunité de découvrir le Château Laroque, Grand Cru Classé Saint Emilion où la magie du calcaire sublime le merlot. Comme le gérant David Suire a dit en 2022, « Château Laroque se distingue par ses plateaux et coteaux calcaires, son terroir et ses paysages uniques. Nous avons plus de 80 hectares (dont près de 60 ha en vignes) d’un seul tenant réparti sur un plateau et deux collines.
Tous ces éléments donnent des caractéristiques singulières aux vins tels que, une remarquable verticalité :
- le vin est droit, vertigineux et aérien. Cette profondeur est amenée par les sols calcaires.
- Le vin est pensé et cultivé pour vieillir. Je ne peux pas me résoudre à faire du vin de consommation immédiate, il doit évoluer dans le temps. Cela renvoie aux notions de temps et de transmission auxquels nous sommes très attachés.
- Pour finir, la signature minérale amène un superbe équilibre.
Château Brane-Cantenac, 2ème Grand Cru Classé Margaux
En changeant de rive, ma journée dans le Médoc a débuté au Château Brane-Cantenac, 2ème Grand Cru Classé de Margaux, où j’ai été accueillie par Henri Lurton. Serein, il sait que les terroirs d’exception feront toute la différence pour le millésime 2024. Sous un soleil radieux, Henri Lurton, propriétaire du château, nous explique en quelques mots l’essence du terroir de Brane-Cantenac, situé sur la terrasse n°4, juste en face du château. Les premiers cabernets sauvignons de Brane-Cantenac sont minutieusement triés, d’abord sur deux tables de tri, puis à l’aide d’un tri optique pour une précision maximale. Les raisins sont ensuite acheminés dans de petites cuves placées au-dessus des cuves en bois, pour un travail intégralement gravitaire, préservant ainsi la qualité des baies. Puis, Henri nous dévoile le nouveau chai d’élevage, magnifiquement conçu. À Brane-Cantenac, chaque millésime est élevé à 100 % en barriques neuves, garantissant un élevage de qualité et respectant les standards du domaine.
Château Ferrière, 3ème Grand Cru Classé Margaux
Malheureusement, la situation au Château Ferrière, 3ème Grand Cru Classé Margaux, dirigé par Claire Villars-Lurton, est moins prometteuse pour ce millésime. Le domaine a été affecté par une mauvaise floraison et une forte pression de mildiou. Lors de notre entretien en 2022, Claire se décrivait comme « spontanée, enthousiaste, positive, optimiste et passionnée ». Elle affirmait : « Je me dis souvent que je n’ai pas le droit de tricher. Je suis transparente avec ceux qui m’entourent. J’ai hérité de l’optimisme et du positivisme de mon grand-père Jacques Merlaut. J’aime m’engager, même si j’ai des doutes et des moments de découragement ; il faut avancer dans la vie. Gonzague (son époux et propriétaire du Château Durfort Vivens) et moi souhaitons rester ouverts, être précurseurs et affirmer nos différences. « Nous voulons retrouver une viticulture saine, produire le meilleur vin au monde de manière naturelle, sans produits de synthèse : une viticulture qui a du sens et qui est liée à un sol vivant. »
Elle souligne que cette notion de « sol vivant » englobe un ensemble d’organismes interagissant les uns avec les autres. C’est un réel défi à Bordeaux en raison du climat et de la pression du mildiou. Claire et son équipe s’efforcent de trouver des solutions pour lutter naturellement contre cette maladie au quotidien. « Il faut aller au bout de ses convictions », affirme-t-elle. Claire l’a fait, et « chapeau » à elle pour cela. Cependant, lorsque Dame Nature se montre trop cruelle, comme cette année, il est parfois nécessaire de faire une pause quand cette viticulture idéale dans un monde parfait a un impact trop lourd sur l’économie du vignoble et sur le moral des équipes. Heureusement, Claire est une battante et une optimiste qui marche résolument vers un avenir meilleur.
Château Rauzan-Ségla, 2ème Grand Cru Classé de Margaux
Au Château Rauzan-Ségla, 2ème Grand Cru Classé de Margaux, nous avons été accueillis par une partie de l’équipe commerciale, composée de Jean-Basile Roland, Charlotte Ruel et Clara Le Cam. La sélection minutieuse au Château Rauzan-Ségla va si loin qu’ils vinifient séparément certaines zones. (Charlotte Ruel explique ce processus de « zonage » dans le film.) Nous pouvons voir également dans le film, des petites cuves de vinification utilisées pour les raisins issus du « zonage ». Cette approche témoigne de l’exigence du domaine en matière de qualité et d’authenticité des vins produits.
Branaire Ducru, 4ème Grand Cru Classé Saint Julien
Au château Branaire Ducru, 4ème Grand Cru Classé Saint Julien, c’est le propriétaire François Xavier Maroteaux qui nous a guidé dans le nouveau chai en pleine ébullition pendant les vendanges. Les travaux du cuvier ont débuté en janvier 2021 : ce projet a été réalisé en 2 phases. Ils ont gardé les murs du bâtiment existant et ont détruit la moitié du cuvier pour pouvoir vinifier le millésime 2021. Il y a 65 cuves suspendues et 10 cuves posées au sol. Le nombre des cuves a doublé pour aller encore plus loin dans la précision de vinification des différentes parcelles.
Château Pontet Canet, 5ème Grand Cru Classé Pauillac
Au Château Pontet Canet, nous avons été chaleureusement accueillis par Justine Tesseron. Le millésime 2024 marquera une nouvelle étape significative dans la vinification «hors norme» de ce domaine, car pour la première fois, de nouvelles cuves en bois en forme d’œuf seront utilisées. Les vendanges étaient en plein essor, créant une ambiance très particulière. Le cuvier était presque silencieux, car aucune machine n’est employée pour l’éraflage ni pour le tri. Tout se fait à la main, avec des équipes travaillant autour de quatre tables. Il y a 6 chevaux à la propriété, dont Bolide qui a transporté la vendange ce jour-là jusqu’au cuvier.
Et pour la suite…Toute l’équipe de Roland Coiffe & Associés sera ravie de vous accueillir à Bordeaux pendant la semaine des dégustations
des Primeurs du 14 au 17 avril 2025
Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.