Inside La Place – « Bordeaux est une région très vaste qui offre une belle palette de vins à des prix variés »

Christophe Ollivier 

Œnologue conseil

Ancien associé de Denis Dubourdieu

Christophe Ollivier est titulaire d’un Diplôme National d’Œnologie, suivi d’un Diplôme d’étude et de recherche en œnologie obtenu dans le laboratoire de Denis Dubourdieu. Leurs travaux sur les vins blancs ont rapidement attiré l’attention des professionnels. Il a commencé son activité d’œnologue conseil au milieu des années 80 avec Denis Dubourdieu, se concentrant d’abord sur les vins blancs, avant de s’étendre aux vins rouges.


Présentation 

Gerda :  Que sont vos principaux défis auxquels vous êtes confronté personnellement dans le pratique de votre métier? 

Christophe Ollivier : Les défis sont nombreux. Le premier consiste à établir avec le propriétaire ou le directeur une vision commune des vins du domaine. Aucune collaboration n’est possible sans ce préalable. Il s’agit ensuite d’évaluer objectivement les conditions de production (terroir, cépage, viticulture, installation et vinification ) et de les faire évoluer pour atteindre l’objectif. Enfin la confiance de l’ensemble de l’équipe de production est indispensable.

G : Comment qualifiez-vous la personnalité que vous vous attachez à donner sur les vins que vous consultez ? Y a-t-il un « style Christophe Ollivier» ?

CO : Non, cela m’ennuierait que l’on puisse attribuer un goût reconnaissable aux vins auxquels je participe. En revanche contribuer à créer des vins le plus ancrés possible a leur lieu de production est un objectif. Par exemple, je me souviens du plaisir que Denis Dubourdieu et moi avons eu à faire remplacer du Merlot par du Sangiovese sur de magnifiques terroirs du Chianti Classico. Ou bien pendant ma collaboration de plus de 20 ans avec deux grands domaines Grecs, le pourcentage de cépage bordelais est devenu largement minoritaire au profit de cépages locaux tels que la Malagousia, l’Agiorgitico, le Vertzami ou le Limnio. La vinification et l’élevage que je préconise doivent permettre l’expression la plus complète et la plus délicate du terroir.  La méthode doit être discrète dans la bouteille.


Le Futur

G : Vous êtes consultant depuis les années 80, quels sont les plus gros changements dans votre métier ?

CO : Aujourd’hui les propriétés font de plus en plus appel à des consultants extérieurs et l’offre s’est beaucoup développée. Lorsque nous avons créé le bureau de conseil avec Denis Dubourdieu, nous étions les seuls à ne proposer que du conseil (sans analyse ni vente de produit) pour avoir une totale indépendance de préconisation. Nous sommes aujourd’hui plus nombreux dans ce cas. Notre conseil est né de la recherche, il continue de l’être grâce aux travaux de Valerie Lavigne et d’Axel Marchal. Les évolutions techniques que nous proposons en découlent. Mais j’observe depuis plusieurs années que la demande des propriétés est plus globale. Nous sommes de plus en plus sollicités pour les choix stratégiques à moyen et long terme. Enfin, on ne peut pas parler de l’évolution du conseil sans évoquer sa relation avec le monde de la critique et son influence sur les notes des vins. Certains consultants en ont fait leur spécialité, on ne peut contester que ces relations ont fait évoluer parfois en bien le goût du vin et contribué à la notoriété des vins de Bordeaux en général. Il me semble cependant que ce modèle s’épuise.

G :  Comment les vignerons peuvent-ils se protéger contre le changement climatique ?

CO : Il ne s’agit pas ici de nier l’évolution du climat. Cependant, si on compare les conditions climatiques des décennies 80, 90 et en grande partie 2000 à celles d’aujourd’hui l’évolution du climat, en tout cas à Bordeaux, a été globalement, extrêmement favorable. La qualité des vins produits en atteste. Même lors du millésime 2022, marqué par des températures estivales particulièrement élevées, nous avons produit malgré nos craintes des merlots délicieux. Bien sûr on peut craindre l’évolution à venir mais si on met les choses en perspective on observe que les cépages bordelais sont déjà cultivés dans des conditions climatiques plus extrêmes dans le monde et peuvent produire de grands vins. L’introduction de cépages étrangers issus de régions plus chaudes est pour moi un non sens. Bordeaux y perdra l’âme de ses grands vins.

D’ailleurs le climat ne fait pas que se réchauffer. Nous avons aussi plus fréquemment des printemps humides et plus généralement des alternances de périodes fraîches et humides avec des périodes chaudes. Cela pose de vrais problèmes de maitrise de l’état sanitaire de la vigne et de l’entretien des sols. L’impact de ces situations climatiques changeantes est accentué par la pression environnementale qui a conduit a considérablement réduire l’utilisation des produits sanitaires réellement efficaces. Dans ces conditions, pour maintenir une production de qualité l’augmentation des coûts de production est inévitable. Une convenable valorisation des vins devient alors vitale. Enfin pour suivre l’évolution du climat à Bordeaux nous sommes loin d’avoir exploité toutes nos possibilités d’adaptation tant en ce qui concerne le matériel végétal ( utilisation de porte greffe et de clone plus tardifs, augmentation du pourcentage de Cabernet sauvignon) que de pratiques viticoles (diminution de la surface foliaire, limitation de l’effeuillage, modalité d’entretien du sol).

G :  Que pensez-vous de la tendance et de l’avenir du vin en biodynamie ?

CO : J’ai des clients en bio et en biodynamie qui sont très convaincus. L’objectif de produire des vins nets originaux et localisables doit rester inchangé. La question est de savoir s’il est plus facile d’y parvenir grâce à cette méthode. Nous avons fait de nombreux essais comparatifs et les résultats sont souvent difficiles à interpréter. Parmi les vins élaborés en biodynamie, on trouve des réussites vraiment remarquables, mais aussi des échecs retentissants, tant en termes de quantité que de qualité. Enfin produire bio et biodynamie coûte plus cher. Or il semble évident aujourd’hui que le consommateur n’est que minoritairement prêt à en payer le prix.


La Marque Bordeaux

G : Quelles actions devons-nous entreprendre à Bordeaux pour accroître nos ventes ?

CO : Ce n’est pas véritablement mon domaine de compétence cependant je vous propose quelques réflexions. Aujourd’hui ni le goût ni le prix (pour la grande majorité des vins) ne sont les problèmes majeurs à Bordeaux. Mais on peut craindre dans un avenir très proche qu’une partie de la production n’ai plus les moyen de maintenir la qualité chèrement acquise faute de valorisation. Nous ne nous rendons pas assez compte à quel point le vin est en train de perdre du terrain chez les jeunes consommateurs. Les études récentes montrent qu’ils consomment toujours un peu de vin mais que celui ci n’a plus de statut particulier et est totalement remplaçable. Un vrai travail de promotion simple et ludique est à faire. A l’image d’autres grandes régions de production dans le monde, il manque certainement une ou deux marques de très gros volume à Bordeaux. Le goût de ce vin doit être consensuel. Enfin les consommateurs des vins de Bordeaux vieillissent, les critiques et les producteurs aussi. Nous devons nous efforcer d’être attractifs pour de jeunes talents.

G : Que sont les atouts pour Bordeaux ?

CO : Incontestablement le choix. Bordeaux est une région très vaste qui offre une belle palette de vins à des prix variés.

G : Quel type de vin aimez-vous ?

CO : Cela dépend évidemment des circonstances mais, sans doute par déformation professionnel, je ne peux pas boire un vin qui présente un défaut caractérisé. J’ai également horreur des « faux grands vins », ceux qui ont tous les atouts mais rien à l’intérieur. Ils ont tout l’habillage : le bon bois, l’intensité, mais ni originalité ni personnalité. Ces vins sont interchangeables, et ils m’ennuient. Par déduction, j’aime tous les autres ! J’aime les découvertes. Je suis curieux. Bien sur j’aime aussi les meilleurs crus sur les bons millésimes, mais ce n’est pas mon quotidien !  J’ai une affection particulière pour les vins plus simples que l’on boit avec ses amis sans se sentir obliger de les commenter. Le plaisir simple d’un bon moment de détente.


 Le Vin

G : Pourriez-vous me décrire un vin exceptionnel ?

CO : Je suis toujours fasciné par la dégustation des vieux vins. Des vins de 30, 40 ans sont parfois si jeunes qu’on leur attribue 10 ans de moins ! Ils proviennent d’un autre monde et pourtant ils sont encore capables de nous émouvoir. J’aimerais pouvoir remonter le temps pour connaitre le goût qu’ils avaient jeunes. Ils sont évidemment très rares et parfois inattendus. Bordeaux est bien représenté dans cette catégorie.

G : Votre millésime mémorable à Bordeaux et pourquoi ?

CO : Je dirais 2000, parce qu’il marque une sorte de tournant. C’est évidemment un bon millésime, mais c’est surtout celui où l’impact de la viticulture a vraiment été mis en avant. Des pratiques inhabituelles ont commencé à apparaitre : effeuillage, vendanges en vert. Les chefs de culture ont été de plus en plus invités aux dégustations d’assemblage et les maitres de chai à participer aux dégustations de raisin pour fixer la date de récolte.

G : Vous avez déjà déguster beaucoup de cuves de 2024, pourriez-vous nous dire quelques mots sur votre première impression ?

CO :  Si on ne sait pas encore ce qu’il sera on sait déjà ce qu’il n’est pas: il n’est pas quantitatif et il n’est pas du tout catastrophique. Il pourrait prématurément et injustement être condamné. En effet tout le monde a en tête le climat morne et pluvieux de cette année. D’autre part la situation économique est préoccupante. Attendons que les vins soient terminés pour juger. Si on reproche aux vins de ces derniers millésimes d’être trop alcoolisés, trop concentrés… ce millésime ne le sera pas et pour peu que l’on calibre convenablement les pratiques techniques et les ambitions économiques il pourrait bien satisfaire les jeunes consommateurs curieux.

 

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.