Laure de Lambert Compeyrot
Propriétaire
Château SIGALAS RABAUD
1er Cru Classé Sauternes
Forte d’une formation scientifique solide, acquise à Montpellier Supagro et à la faculté d’œnologie de Bordeaux, Laure de Lambert Compeyrot occupe aujourd’hui le poste de directrice générale de Sigalas Rabaud, où elle représente la sixième génération à diriger la propriété depuis 1863.
Présentation
Gerda : Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés personnellement, dans la pratique de votre métier ?
Laure de Lambert Compeyrot : La première chose est de respecter le travail de mes ancêtres en ce qui concerne la qualité du vin. C’est une quête d’excellence. Ces grands vins ont une personnalité particulière et unique. La deuxième chose est de veiller à ce que le modèle économique soit pérenne et que cela se poursuive sereinement. Enfin, je voudrais que ce modèle soit complètement adapté à notre époque. Je suis très préoccupée par tout ce qui touche à l’environnement. C’est pourquoi je suis contente d’avoir pu embaucher Florent, directeur d’exploitation. Il a cette sensibilité environnementale. Travailler avec un jeune est très important pour moi, car il apportera les idées et les propositions de sa génération. Les questions environnementales sont des préoccupations pour moi, mais pour lui, elles concernent surtout son avenir. Ensemble, nous pouvons aller encore beaucoup plus loin. Beaucoup de propriétés ont du mal à recruter du personnel, mais nous avons créé avec nos voisins un GEA (Groupement d’Employeurs Agricoles) regroupant 12 châteaux. J’apprécie beaucoup l’idée du GEA car il offre un aspect social très intéressant ; nous essayons d’embarquer et de motiver les personnes en leur faisant aimer le métier. Ensemble, nous identifions ceux qui ont vraiment envie de travailler et qui possèdent des compétences, puis nous les aidons à progresser. Nous les formons, et ils peuvent être embauchés par l’un d’entre nous ou bénéficier d’un CDI.
Les Vendanges 2024
G : Pourriez-vous me donner un souvenir des vendanges 2024 ?
LDLC : Oh, oui, j’en ai plein ! Le plus marquant, c’était un matin : une jeune fille est arrivée avec un bouquet de roses. Elle en a offert une à chaque vendangeuse en disant : « C’est tellement sympathique ici, donc je vous offre une rose. » Toute l’équipe était bouche bée. J’avais une vieille vendangeuse à côté de moi qui murmurait : « Oh, c’est tellement gentil ! » Avoir une bonne équipe, c’est déjà avoir accompli une grande partie du travail. Les vendanges à Sauternes sont très compliquées, et avoir une équipe qui s’entend bien est primordial. Quant aux tris, nous en avons fait trois, dont le troisième était le plus difficile. La clé des grands Sauternes, c’est bien sûr d’avoir un magnifique raisin botrytisé, mais c’est aussi la sélection minutieuse pendant les tris.
La marque Sigalas Rabaud Aujourd’hui & Demain
Vous avez mentionné l’arrivée de Florent Vesselle, nouveau responsable d’exploitation, soulignant que la jeunesse porte une attention particulière à la question écologique. Mais où en est exactement votre propriété dans sa démarche de « transition écologique » ?
LDLC : Nous avons considérablement réduit tous les intrants. Nous travaillons beaucoup sur les couverts végétaux, mais il faut aller encore plus loin. Nous sommes HVE4 mais les labellisations ne m’intéressent pas, car je pense qu’elles ne sont pas toujours adaptées. . Les voies proposées peuvent parfois s’avérer des impasses, et obtenir ce label sur une petite propriété comme Sigalas Rabaud demande beaucoup de temps et de paperasse. Je préfère que nous avancions avec toute notre responsabilité, notre conscience et notre énergie. Sur ce sujet, nous avons fait des progrès notables. Nous avons fait appel à des intervenants extérieurs pour nous aider à observer et analyser, et nous avons intégré un programme de recherches sur la lutte contre les verres de grappes, par exemple. Nous pratiquons le RDD (analyse de la gestion de l’azote) de manière discrète, ce qui nous est utile.
Florent : Oui, c’est surtout une question d’observation ; nous essayons de comprendre et de nous adapter au millésime. Nous ne faisons pas des choix par automatisme. Nous réintroduisons de la biodiversité dans le vignoble, ce qui passe par un travail maîtrisé du sol pour le garder vivant. Cela permet de limiter les intrants, y compris la fertilisation. Nous utilisons également des mesures prophylactiques à la vigne pour réduire les intrants nécessaires au traitement des maladies. Je trouve que l’idée de planter des arbres fruitiers au milieu des vignes est bonne, mais il faut avoir du recul sur ces pratiques. Cela nécessite beaucoup d’attention, notamment pour éviter la concurrence avec la vigne, les problèmes liés aux outils mécaniques et les maladies potentielles. Planter des haies autour des parcelles est déjà une belle étape. Nous avons réalisé une étude à ce sujet et avançons dans ce domaine, mais il reste des questions à résoudre à l’intérieur des parcelles. A Sauternes, nous sommes entourés de bois, ce qui donne un paysage très différent de celui du Médoc. Nous avons une appellation de seulement 1 750 hectares, contre 2 200 hectares auparavant. Notre appellation est petite et sa superficie a beaucoup diminué ces dernières années.
LDLC : J’observe attentivement ce qui se passe dans les vignes. L’observation permet de progresser considérablement, et elle nous donne aussi l’opportunité d’ajuster nos pratiques en apprenant des autres. Toutefois, je pense être trop indépendante pour me conformer à un système unique. Pour être honnête, cela est aussi lié à notre modèle économique. À Sigalas, nous avons un rendement d’environ 10 hl/ha ces dernières années. Ce modèle n’est pas viable si nous ne pouvons pas augmenter notre production.
Le Commerce
G : Quel(s) positionnement(s) souhaitez-vous pour votre/vos marque(s) ?
LDLC : Pour moi, Sigalas Rabaud doit être un vin d’excellence et maintenir son rang de Premier Cru Classé. Je veille toujours à ce que mes assemblages nous placent parmi les 5 meilleurs Sauternes, même si cela implique quelques sacrifices. Cette qualité est essentielle, car sans elle, le vin ne suivra pas. L’excellence doit être au rendez-vous tout en respectant la typicité que l’on retrouve dans les anciens Sigalas Rabaud.
G : En quoi vos vins se distinguent, et sont uniques ?
LDLC : Nous avons un terroir exceptionnel. Sigalas est situé sur cette fameuse « veine de grasse » : graves sur argile, ce qui rend nos vins uniques d’une grande élégance et d’une finesse incroyable. Nous n’avons jamais poursuivi la concentration excessive. Nous avons toujours maintenu l’équilibre pour lequel Sigalas est reconnu. Depuis mon arrivée, je n’ai pas modifié le style de Sigalas, mais nous avons progressé dans la pureté et la précision des vins. Ici, nous aimons boire nos vins. En dégustant les vieux millésimes, je retrouve ce côté frais sans jamais être opulent. Les changements chez nous se sont opérés progressivement : avec une petite équipe capable de réagir rapidement lorsque le botrytis arrive, et en travaillant avec des cuves plus petites dans le chai. Je n’ai pas modifié la vinification.
G : Sur quels projets futurs travaillez-vous en ce moment ? (Techniques, marketing, ou commerciaux)
LDLC : Nous avons diversifié nos activités avec l’œnotourisme pour établir un modèle économique durable. La promotion de notre marque se fait en collaboration avec La Place de Bordeaux, et nous apprécions beaucoup de travailler avec nos partenaires négociants. Leur reconnaissance est due à la régularité de nos prix, ce qui est très apprécié. Nous avons réalisé un important travail de positionnement et de développement dans le secteur de la restauration. Nous avons également investi considérablement dans l’œnotourisme sur la propriété. Avec ces trois pôles, nous parvenons à créer une synergie entre nos activités, ce qui fonctionne assez bien.Cependant, j’ai toujours pensé que notre terroir, en plus d’être exceptionnel pour les vins liquoreux, possède un immense potentiel pour les vins secs. Cela fait plus de 15 ans que nous travaillons sur des vins blancs secs, et ce terroir offre également de grandes possibilités dans cette catégorie. C’est d’ailleurs l’objectif pour Florent : produire les meilleurs blancs secs de Bordeaux. Je soutiens pleinement l’idée de créer une appellation « Sauternes Blanc Sec ».
Je suis convaincue que cette idée, autrefois personnelle, est désormais partagée par de nombreuses autres personnes. Pour moi, produire des blancs secs est essentiel, car disposer d’une gamme variée est crucial. Avec nos rendements relativement faibles pour le Sauternes, il est important d’avoir du volume pour assurer un bon positionnement de marque. La possibilité de produire des vins blancs secs représente une opportunité exceptionnelle. Pour être honnête, ce n’était pas mon objectif initial ; j’ai commencé par curiosité en 2009, simplement pour voir ce que notre terroir pouvait offrir. Je suis également très intéressée par le sémillon, que je considère comme une variété exceptionnelle pour les vins blancs secs. Cette idée me trottait dans la tête depuis quelques années, et j’ai finalement décidé de tester notre terroir en version sèche.
A l’époque, j’avais un stagiaire qui m’a demandé pourquoi je m’embêtais à attendre l’arrivée du botrytis. Nous avons donc réalisé un assemblage de sauvignon et de sémillon. Je ne m’attendais pas à une qualité aussi exceptionnelle du sémillon. Il était vraiment unique, avec de la matière, de la densité et une vraie personnalité. Récemment, un sommelier m’a dit au téléphone que nous étions peut-être plus connus pour nos blancs secs que pour nos liquoreux. L’une des raisons est certainement le volume plus important de blancs secs. Cela ne me dérange pas, bien que cela m’ait surprise au début, car je suis avant tout une vigneronne du liquoreux. Mais en même temps, je me dis « quelle chance ! » Nous, dans l’appellation, sommes tous confrontés à la question du nombre de bouteilles de liquoreux que l’on consomme par an par rapport aux blancs secs… Il y a une plus grande croissance dans le blanc sec.
G: Quelles sont vos priorités en termes de développement commercial ?
LDLC : Nous avons mis l’accent sur la restauration. Par ce canal, je sais que le vin est consommé. Je veux absolument que le consommateur prenne du plaisir avec une bouteille de Sigalas Rabaud. Je ne souhaite pas que ce vin soit seulement perçu comme un vin patrimonial. Bien sûr, il est important de pouvoir le conserver, mais il doit aussi offrir du plaisir lorsqu’il est jeune. Je continue de travailler avec le négoce bordelais et j’en suis ravie, tout en leur laissant une certaine liberté de distribution. À la propriété, nous effectuons des ventes directement aux visiteurs. Il est tout à fait possible qu’ils reviennent dans six ans pour en acheter à nouveau.
Notre plus gros marché est la France, ce qui me réjouit. Il est important d’être reconnu chez soi d’abord, et cela facilite le travail. Nous n’avons pas besoin de chercher des marchés lointains. Nous sommes membres des crus classés 1855, de l’Union des Grands Crus, car il est précieux d’être reconnu par ses pairs. Ce sont des groupements sympathiques et efficaces. J’apprécie de travailler avec ses membres. Ces associations apportent des services tels que la présentation aux journalistes, les dégustations des Primeurs, et les événements pour les grands amateurs. Ce sont des opportunités difficiles à atteindre pour une petite propriété comme Sigalas. Nous sommes également Vignerons indépendants. Il est important de trouver un équilibre entre être dans sa catégorie de classement et maintenir un contact direct avec les clients finaux. C’est grâce à ce contact que nous avons enrichi notre gamme. Nous produisons également un vin sans soufre. J’ai été sollicitée par mes amis et des jeunes pour créer des vins plus légers, même botrytisés. Cette entrée de gamme est également attrayante. La Bourgogne m’inspire pour développer davantage de cuvées parcellaires. Même si le terroir de Sigalas est très homogène, il existe des différences notables entre le haut et le bas, l’est et l’ouest. Même sur 14 hectares, ces variations sont présentes.
G : Quelles mesures avez-vous prises pour faire face à la baisse de la demande des Sauternes ?
LDLC : Tout d’abord, nous avons pris notre bâton de pèlerin et sommes allés à la rencontre des restaurateurs. Nous avons tout mis en œuvre pour placer nos bouteilles sur leurs tables. À la propriété, nous organisons systématiquement des dégustations, expliquons les caractéristiques de nos vins et proposons des accords mets et vins. C’est simple, et cela incite souvent les visiteurs à acheter par la suite. Je pense que je ne subis pas la difficulté du marché autant que d’autres. La diversification de notre gamme, le développement de l’œnotourisme, et la confiance que nous accorde le négoce contribuent à la pérennité de notre activité.
G : Comment voyez-vous l’avenir de l’appellation Sauternes à la lumière de cette crise ? Prévoyez-vous des changements significatifs dans la filière du vin de Sauternes ?
LDLC : Nous sommes davantage confrontés à une crise de production qu’à une crise commerciale, même si cela affecte certaines marques. Je suis convaincue que les producteurs dynamiques, capables de créer de grands vins, sauront diversifier leurs activités et placer leurs bouteilles partout. Je pense qu’il y aura une concentration des marques. Certains producteurs qui ne produisent pas de grandes quantités ou qui n’ont pas de repreneurs pourraient voir leur activité se terminer. Je suis heureuse de voir que quelques grands leaders et investisseurs se sont intéressés à l’appellation. Ce sont des entrepreneurs qui veulent que le modèle économique fonctionne. Contrairement aux anciens investisseurs, souvent des banquiers ou d’autres personnes qui ne se souciaient pas vraiment du modèle économique, ces nouveaux acteurs cherchent un retour sur investissement et misent beaucoup sur l’œnotourisme. L’appellation Sauternes est très spéciale. Le lieu est magnifique, la lumière est superbe et l’authenticité est préservée. L’appellation est proche de Bordeaux, mais reste complètement déconnectée de la ville, dans une zone très rurale. Les visiteurs, qu’ils arrivent en hélicoptère, en train ou en voiture, trouvent cet endroit dépaysant. Nous proposons une offre œnotouristique diversifiée, allant du haut de gamme avec Yquem, qui ouvre ses portes de plus en plus, à Lafaurie-Peyraguey et son restaurant étoilé, sans oublier notre domaine et d’autres propriétés. Cela profite à tous, tout en respectant notre identité familiale. Nous accueillons nos visiteurs avec une touche de « vieille France », tout en restant ancrés dans la modernité. Nos principaux défis sont : l’économie d’échelle, car nous sommes trop petits, et les dérèglements climatiques. La volatilité des températures est un souci majeur, surtout pour le sémillon, un cépage très sensible à ces variations. La plante est de plus en plus affectée aujourd’hui. Le fait que Sigalas Rabaud ne s’étende que sur 14 hectares engendre des coûts de production élevés. J’ai plusieurs idées pour l’avenir, notamment le développement de nos vins de marque, comme La Demoiselle de Sigalas. Après 15 ans passés à la propriété, j’ai désormais une vision plus claire de la direction que nous souhaitons suivre, et la création de vins de marque, qui demande une certaine production en volume, est sans aucun doute l’une des pistes que nous envisageons pour notre développement. Nous avons également un syndicat très dynamique. Je fais partie du conseil et suis heureuse de voir que tout le monde joue vraiment le jeu du collectif. Dans notre appellation, la collaboration est agréable. Il y a une véritable synergie entre les châteaux, et nous avançons bien ensemble. Pour les blancs secs, nous organisons des dégustations en commun et avons créé une caisse avec nos quatre voisins pour un assemblage commun. Nous aimons discuter entre nous.
La Bouteille de cœur de Laure de Lambert Compeyrot
G : Si vous aviez une seule bouteille de cœur ?
Oui, bien sûr, j’ai une bouteille de cœur. Récemment, j’ai eu une grande émotion en dégustant un Sigalas Rabaud 2015, que je n’attendais pas. À un moment donné, quelque chose se passe… et il incarne tout ce que j’essaie de réaliser. Nous avons tous des critères et une certaine esthétique que nous souhaitons atteindre. Ce jour-là, j’ai été touchée par une émotion rare, car nous sommes souvent dans une approche analytique du vin. Avec ce vin, je ne me suis pas posée de questions sur ce qui allait ou non. Soudainement, j’ai été submergée par une émotion.
Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.