Inside La Place – « J’aime mettre en lien les gens par le vin ou les mots »

Denis Lurton

Propriétaire

Château DESMIRAIL

3ème Grand Cru Classé

MARGAUX

Denis Lurton est l’un des enfants de Lucien Lurton, figure emblématique du monde viticole décédée en mars 2023. Au fil des décennies, Lucien Lurton a constitué un portefeuille exceptionnel de propriétés dans le Médoc, les Graves, l’Entre-deux-Mers et le Sauternais, animé par une quête presque obsessionnelle des plus beaux terroirs. Défenseur d’une œnologie minimaliste pour laisser pleinement s’exprimer le terroir, il a toujours maintenu ce cap, résistant aux tendances du moment et aux critiques, notamment celles du célèbre Robert Parker. Sa vision singulière du vin, centrée sur l’élégance et la « buvabilité », a fait de lui un précurseur, dont l’approche est aujourd’hui saluée par les amateurs.

À partir des années 1990, Lucien a transmis ses propriétés à ses enfants : Gonzague a repris Durfort-Vivens, Denis s’est vu confier Desmirail, Bérénice et Brigitte ont hérité de Climens, Marie-Laure de Tour de Bessan et Villegeorge, Sophie de Bouscaut, Louis de Haut-Nouchet, et Henri, accompagné de Thierry et Edwige, de Brane-Cantenac. Après avoir rencontré Henri, aujourd’hui propriétaire unique de Brane-Cantenac, je me suis rendu au Château Desmirail pour échanger avec Denis Lurton et découvrir davantage cette propriété ainsi que la personnalité discrète de son propriétaire. Il n’y avait que quelques ajustements mineurs, comme la correction de « propriétaire unique à Brane-Cantenac » en « propriétaire unique de Brane-Cantenac ».


Présentation 

Gerda : Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confronté dans la pratique de votre métier ?

Denis Lurton : Mon premier défi réside dans la notoriété de Desmirail, suivi de celui de la commercialisation. Aujourd’hui, à l’exception des grands premiers crus, la concurrence est rude entre les autres propriétés, qui semblent presque interchangeables. Les Crus Classés, hors Premiers et Super Seconds, se trouvent tous au même niveau. Par exemple, la dernière campagne des Primeurs a été réduite à quelques étiquettes phares : on parle d’environ 25 châteaux ayant bien fonctionné. Pour notre part, nous avons vendu un quart de notre production, comme lors de la campagne précédente. Bien que nous soyons en marge du marché des Primeurs, nous continuons d’y proposer nos vins.

La question qui se pose est : comment cette campagne évoluera-t-elle à l’avenir ? Pour des crus comme le nôtre, appartenant à un « deuxième rideau », quelle sera la stratégie ? Devons-nous fixer un prix pour rester présents sur le marché des Primeurs ou basculer directement sur le marché des vins livrables ? Nous traversons clairement une période de transition. La notoriété de Desmirail reste un enjeu central, et c’est un travail que j’aurais dû entreprendre plus tôt. Historiquement, Brane-Cantenac, notre navire amiral, bénéficiait d’une forte reconnaissance. Dans les années 1970, avant l’arrivée de Robert Parker, c’était l’un des Super Seconds les plus réputés. En revanche, les autres propriétés, comme Desmirail, restaient davantage dans l’ombre.

Quand je suis arrivé à Desmirail en 1992, la situation commerciale était fragile. Nous étions liés à deux négociants, dont l’un a cessé d’acheter nos vins, et j’ai travaillé exclusivement avec le second jusqu’en 1997. Ensuite, j’ai ouvert notre cercle de distribution et fait entrer notre négoce familial pour diversifier nos débouchés. Aujourd’hui, nous collaborons avec 40 négociants sur la Place de Bordeaux. Cependant, il nous manque des partenaires stratégiques capables de jouer le rôle de locomotive. Desmirail bénéficie d’une bonne reconnaissance en Chine, où il est connu sous le nom de « Dichemé », un nom très apprécié dans ce pays. Cette notoriété a été renforcée par notre participation à l’Union des Grands Crus, particulièrement active en Asie. Cependant, le ralentissement du marché chinois nous affecte aujourd’hui. Nous avons commis l’erreur de concentrer trop d’efforts sur ce marché unique, au détriment d’une diversification. Hors de la Chine, nous avons une présence plus modeste en France, aux États-Unis et en Europe. En 2013, par exemple, alors que le millésime était jugé difficile sur certains marchés, il a été majoritairement vendu en Chine, ce qui a permis de limiter l’impact de cette situation. Mais cette dépendance constitue désormais une faiblesse qu’il nous faut corriger.

Le défi du changement climatique est un autre enjeu majeur. Pour y faire face, nous avons modifié la densité de plantation. À mon arrivée, elle oscillait entre 6 600 et 7 000 pieds par hectare. Nous l’avons progressivement augmentée, atteignant aujourd’hui 8 000 pieds par hectare, voire 10 000 sur certaines parcelles. L’objectif est de maintenir les rendements malgré les effets du réchauffement climatique. Nous avons également accru la proportion de Petit Verdot, qui représente désormais un hectare. Bien que ce cépage soit sensible, notamment au risque de pourriture avant maturité, les conditions actuelles nous permettent d’en obtenir des résultats très prometteurs. Récemment, nous avons aussi introduit le Cabernet Franc, dans le but de diversifier davantage notre encépagement.

G : Avez-vous quelques idées pour donner davantage de visibilité à la marque Desmirail ?

DL : J’essaie de développer la communication autour de Desmirail avec l’aide de Charlotte Larmanjat, ainsi qu’une attachée de presse. Cette dernière m’a permis de rencontrer plusieurs journalistes. Par exemple, Michel Bettane a récemment fait une belle publicité en déclarant que le Desmirail 2022 est le meilleur millésime jamais produit à la propriété. J’en suis très fier. Nous sommes également actifs sur les réseaux sociaux et, avec mon épouse, qui possède une galerie à Bordeaux, j’explore des synergies entre son activité artistique et la communication pour Desmirail. Pour le millésime 2022, j’ai acquis une œuvre d’une artiste exposée dans sa galerie. Depuis deux ans, nous organisons une exposition d’art dans notre cuvier durant l’été. Ces initiatives créent des ponts entre sa galerie et notre domaine. En parallèle, je développe aussi des partenariats, notamment avec des golfs, pour élargir notre visibilité et atteindre de nouveaux publics.

G : Quel rôle joue l’Union des Grands Crus pour le Château Desmirail ?

DL : L’Union apporte avant tout de la visibilité. Lorsque j’ai repris Desmirail en 1992, la propriété était peu connue. J’ai donc cherché à intégrer l’Union des Grands Crus dès que possible. Cela m’a incité à améliorer la propriété, notamment en créant une salle de réception. Grâce à cette salle, nous avons pu accueillir les Crus de l’appellation Margaux en 2010, ce qui a renforcé notre positionnement. Aujourd’hui, grâce à l’Union, Desmirail bénéficie d’une certaine reconnaissance à l’international et d’une présence dans les événements majeurs du monde du vin.

G : Vous avez été avocat et avez également suivi une école de théâtre. En quoi cette expérience vous aide-t-elle à être plus à l’aise lors de vos présentations de vins ?

DL : Nous étions une famille nombreuse de dix enfants, vivant un peu en cercle fermé à Brane-Cantenac. Notre mère nous a appris à lire et à écrire, si bien que je n’ai pas connu la maternelle et que je suis allé à l’école pour la première fois à 6 ans. Nous étions tous plutôt timides. Puis, j’ai eu la chance de faire du théâtre à Tivoli, à Bordeaux, ce qui m’a beaucoup ouvert. J’aurais aimé poursuivre dans cette voie, mais mes études de droit m’ont finalement orienté vers la profession d’avocat. Mon frère aîné et le père de ma mère étaient juristes, alors je me suis dit : pourquoi pas moi ? De fil en aiguille, je suis devenu avocat et j’ai exercé pendant trois ans. Je n’étais pas toujours très à l’aise pour mettre les clients en confiance. En revanche, j’adorais plaider. C’était pour moi une forme de théâtre : il y a une distance, une sorte d’écran entre soi et l’audience, à la barre, comme sur scène avec les projecteurs. Cela m’a permis de dépasser un peu ma timidité, mais je savais que ce n’était pas ma vocation. Mon père nous avait donné une petite bourse à chacun. J’ai alors décidé de l’utiliser pour financer trois années de théâtre à Paris, après avoir quitté le barreau. J’avais remporté le concours d’éloquence du barreau de Bordeaux, et cette expérience a confirmé mon amour pour la langue française, le choix des mots, et l’expression orale.

Ces trois années ont été très enrichissantes, même si je me suis rendu compte que je n’avais pas vraiment le talent pour « me vendre » ou mettre en scène les autres, ce qui est essentiel dans ce métier. Malgré tout, cette formation m’a beaucoup apporté et continue de m’aider aujourd’hui, notamment lors des présentations de mes vins, où il s’agit aussi de captiver et de transmettre une histoire.

G : Pensez-vous que le manque de mise en avant de Desmirail soit un frein aujourd’hui ?

DL : Oui, c’est effectivement l’un des problèmes de Desmirail. À mon arrivée, je n’ai pas eu cette conscience. Je pensais que l’essentiel était avant tout de me concentrer sur le vignoble et d’être un viticulteur, comme mon père. À l’époque, je voyais cela comme la priorité absolue. Avec le recul, je reconnais que j’aurais pu, et dû, faire davantage pour mettre Desmirail en lumière. J’avais probablement certaines capacités pour le faire, mais je ne les ai pas exploitées. J’ai réalisé cela un peu tard… mais mieux vaut tard que jamais.

Aujourd’hui, j’ai bien compris l’importance de ce travail et j’essaie de m’y atteler sérieusement. Cela dit, je ne ressens pas de regrets. Je me suis beaucoup investi ailleurs, notamment dans le syndicalisme viticole. J’ai été Président de la Fédération des Exploitants Agricoles et, avec mes camarades, nous avons pris d’assaut le CIVB (Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux). J’avais une tribune, mais je ne l’ai pas utilisée pour promouvoir Desmirail. À l’époque, je pensais que l’Union des Grands Crus ferait ce travail pour moi. Avec le recul, je crois que c’était une erreur. Ce travail de mise en avant est maintenant lancé, mais il représente aujourd’hui le plus grand défi pour Desmirail.

G : Et l’œnotourisme dans tout cela ?

DL : Nous avons commencé à développer l’œnotourisme en 2012. Nous avons la chance d’être situés à proximité de la D2, et j’ai pensé qu’il était important d’accueillir les visiteurs. Aujourd’hui, nous recevons environ 3 000 personnes par an. Nous privilégions plutôt les visiteurs qui viennent en voiture, car ils ont un coffre dans lequel ils peuvent emporter des bouteilles. C’est un bon moyen de favoriser notre commerce et aussi de donner une image positive de Desmirail, surtout quand ces amateurs parlent de nos vins. Cela dit, nous avons encore des progrès à faire avec les grands groupes, comme notre voisin Kirwan, par exemple. C’est peut-être un domaine sur lequel il faudrait davantage travailler. Mais pour cela, il nous faudrait agrandir et investir dans des travaux. Actuellement, nous avons une personne en permanence pour gérer l’œnotourisme, et en été, nous embauchons deux personnes supplémentaires pour nous aider. Nous sommes ouverts tous les jours, même le dimanche.


Les Vendanges 2024 

G : Pourriez-vous me donner un souvenir des vendanges 2024 ? 

DL : Les vendanges ont débuté le 25 septembre, marquant un retour à une date plus traditionnelle après deux millésimes précoces. Les faibles rendements en Merlot, impactés par le mildiou, feront du Desmirail 2024 un millésime atypique, dominé par le Cabernet Sauvignon (60 %), un retour aux assemblages des années 90. Ce millésime se distingue par un bel équilibre et un beau fruit.


Le marque Desmirail

G : Quel(s) positionnement(s) souhaitez-vous pour votre/vos marque(s) ? 

DL : Je suis un peu partagé. Mon objectif est d’atteindre un certain niveau, sans pour autant rendre l’accès à nos vins difficile pour nos compatriotes français. Je ne cherche pas non plus à être dans le Top, mais plutôt à être reconnu, sans pour autant rejoindre la ligue des grands noms. Mon souhait est que Desmirail fonctionne bien. D’abord, il faut un prix qui permette d’investir. Je souhaiterais que le passeur puisse transmettre un outil opérationnel, de préférence à l’un de mes frères. Je n’ai pas l’intention de créer une fondation en Suisse. Actuellement, nous sommes à un moment crucial, à la croisée des chemins.

G : En quoi vos vins se distinguent, et sont uniques ?

DL : Ils représentent un peu le mariage entre les personnalités de Don Quichotte et de Sancho Panza, avec une dominante de Merlot qui apporte de la rondeur et du Cabernet Sauvignon, de la complexité. Desmirail à l’instar d’un célèbre margalais est très Merlot. C’est un choix, car aujourd’hui, les gens aiment boire des vins plus jeunes, notamment parce qu’ils n’ont pas forcément la capacité de les garder. Je me sens un peu comme un concessionnaire automobile : difficile de dire aux clients « achetez cette voiture, mais gardez-la dans votre garage pendant dix ans avant de la conduire ». Je souhaite produire un vin qui puisse être apprécié dès sa jeunesse, tout en ayant la capacité de bien vieillir. C’est le terroir qui donne cela. Par exemple, avec le millésime 2022, on voit qu’il peut déjà être dégusté, mais il pourra aussi se bonifier avec le temps. Aujourd’hui, on vit dans un monde où tout est dans l’immédiat. Les gens veulent profiter de leur achat instantanément. Desmirail, c’est aussi le type de vin que j’aime : rond, souple, mais avec une belle capacité de garde.

Parfois, cela lui a joué des tours, notamment sous l’influence de Parker, qui a marqué les vins et les esprits. Certains viticulteurs ont choisi de suivre cette voie, et je n’ai rien contre : ce sont leurs choix de produire des vins d’apéritif que les Américains apprécient beaucoup. Desmirail, au contraire, est un vin gastronomique. Cette distinction a parfois déstabilisé les dégustateurs, qui ne sont pas habitués à des vins plus légers. Pour moi, l’essentiel, c’est la souplesse du vin, bien plus que la densité tannique.

G : Sur quels projets futurs travaillez-vous en ce moment ?

DL : Nous travaillons sur la taille en « cordon » sur une partie du vignoble, tant pour des raisons économiques que techniques. Le cordon présente l’avantage de répartir la vendange de manière plus homogène qu’un guyot. En effet, avec un double guyot, les sarments ont tendance à s’allonger, se croiser et parfois à s’entasser. Le cordon, lui, permet de mieux diriger l’apport en énergie et d’optimiser le temps de travail. Cela nous permet aussi de recruter des personnes moins qualifiées techniquement, ce qui est important car il devient difficile de trouver des salariés expérimentés dans ce métier. Grâce au cordon, nous pouvons mieux gérer la vigne en sélectionnant les bourgeons situés en haut et en bas, ce qui améliore l’organisation du travail. Au final, cela répond à la fois à des critères d’efficacité, de qualité et de rentabilité. Cette technique permet d’obtenir des raisins qui mûrissent bien et de façon homogène.


Le Marché Aujourd’hui & Demain

G : Le marché français est important pour Desmirail, mais quelles sont vos autres priorités en termes de développement commercial ? 

DL : Notre objectif est aussi de vendre directement autant que possible. Nous avons une boutique sur place et une boutique en ligne. Je travaille essentiellement avec la Place de Bordeaux, mais cela n’est pas incompatible. Il faut simplement que les prix soient cohérents entre les deux canaux. Par le passé, j’avais tendance à vendre des millésimes plus âgés, en accord avec les prix des cavistes. Aujourd’hui, étant donné que je vends peu, voire très peu, en Primeur, je ne m’interdis pas de proposer des millésimes plus récents. L’avantage de travailler avec la Place lors d’une campagne Primeurs, c’est que l’on connaît à l’avance les volumes et les prix, et que le paiement se fait avant la mise en bouteille. Mais, pour ma part, je suis dans une situation où je dois apprendre à vendre de façon continue.

G : Avez-vous déjà pris une décision sur la campagne Primeurs 2024 ?

DL : Je pense qu’il faut y participer, car je ne veux pas sortir de ce système, même si nous ne savons pas exactement quel sera le résultat. Cela fait encore partie de notre standing d’y être. Mais il y a aussi d’autres questions à considérer : le Primeur reste-t-il pour nous un moyen d’étalonner nos prix ? C’est la vraie question… Cela permet de fixer un prix. Jusqu’au millésime 2021 inclus, les campagnes ont très bien fonctionné. Je pense qu’il est important de rester dans ce système ; la chaise vide, ce n’est pas bon. Nous avons besoin d’être présents et visibles sur le marché.

G : Comment jugez-vous la situation actuelle du marché ?

DL : C’est très préoccupant, surtout si cela doit durer. Mais aujourd’hui, on ne sait pas. Si cela devait durer 2 à 3 ans, comme certains me l’ont dit, comment allons-nous faire ? Nous sommes comme des paquebots. Nous ne sommes pas dans la même situation que les Bordeaux ou les Médocs plus basiques, sans aucune connotation péjorative. Ils sont davantage confrontés à un problème de surproduction, car ils se retrouvent avec des vins de la même catégorie, dans un contexte de surproduction mondiale. Je pense que nous avons notre place à notre niveau, dans le luxe ou le quasi-luxe. Le problème aujourd’hui, c’est que les circuits de distribution sont saturés, parce qu’à une époque, l’argent n’avait plus de prix. Tout le monde a profité de cette situation, que ce soit le particulier ou le négociant. Je me dis que ces stocks vont finir par s’écouler. Et quand ce sera le cas, le marché viendra à l’achat. Mais entre-temps, il va falloir tenir. Et que va-t-il se passer pendant cette période, surtout quand on doit gérer une propriété avec nos propres moyens.

G : Vous voyagez beaucoup depuis des années. Comment percevez-vous aujourd’hui le profil du consommateur de nos vins et comment pouvons-nous attirer les jeunes consommateurs ?

DL : Je ne désespère pas de la jeunesse. On l’a vu tout de suite après la période Covid : nous avons eu beaucoup moins de visiteurs, notamment des Asiatiques, lors de nos portes ouvertes. Mais, en revanche, nous avons accueilli pas mal de jeunes. Pendant le Covid, il y a eu un électrochoc : « Est-ce que j’attends de vivre ou est-ce que je vais vivre maintenant ? » Ces jeunes se sont dit : « Je ne vais pas attendre 45 ans pour être installé financièrement et commencer à profiter de la vie. » Ils ont décidé de s’offrir une bonne bouteille de temps en temps. Je souhaiterais que l’Union des Grands Crus se tourne davantage vers la France pour capter ces jeunes. L’Union a très bien fait en se tournant vers l’étranger, mais à mon avis, il faudrait aussi se concentrer sur le marché intérieur, et aller dans des villes comme Toulouse, Lyon, etc.

G : L’Union des Grands Crus organise un Weekend des Grands Amateurs à Bordeaux …

DL : Oui, c’est une excellente initiative, mais il faut aussi aller ailleurs en France. Les jeunes sont prêts à découvrir nos vins, et de plus en plus de groupes de dégustation se forment parmi eux. Il est également important d’innover. Par exemple, j’ai créé un blanc de noir en 2023, qui va s’appeler La Perle de Desmirail, dont j’ai produit 3 000 bouteilles. Ce vin se distingue d’un blanc de blanc par sa rondeur, avec une acidité moins marquée. Il s’accorde très bien avec les fruits de mer, le poisson, les viandes blanches et certains fromages à pâte dure.

G : Comment voyez-vous la relation entre nous, les négociants et vous ?

DL : J’aimerais qu’elle soit plus étroite. Cela fait des années que je le dis aux négociants : envoyez vos équipes commerciales afin qu’elles connaissent Desmirail. Nous sommes prêts à les recevoir, à leur faire visiter la propriété et à leur faire déguster plusieurs millésimes.

G : Le négociant ne peut pas créer la marque à votre place, c’est à vous de la construire et parfois il faut investir avant le retour sur l’investissement ?

DL : Je suis prêt à l’entendre, mais j’ai besoin de l’aide du négociant pour savoir quels marchés cibler. Il y a un vrai travail à mener avec les équipes commerciales des négociants, à condition qu’il y ait une volonté de développer la marque ensemble.

G : Que pensez-vous de l’arrivée des vins hors Bordeaux sur la Place ?

DL : Parfois, la concurrence peut être bénéfique. On est souvent étonné de voir des rues entières où coexistent des magasins de violons et de guitares ou encore plusieurs concessionnaires automobiles. Si on y réfléchit bien, on pourrait se demander quel est l’intérêt d’être voisins alors qu’ils sont concurrents.  et pourtant, s’il en est ainsi, c’est bien que chacun y trouve son avantage.


La bouteille de cœur de Denis

G : Si vous aviez une seule bouteille de cœur ? 

DL : Ce serait le millésime 2022 du Château Desmirail. Pour moi, cette bouteille représente un aboutissement. Je suis arrivé en 1992, et ce millésime, c’est le « 2 » qui revient, en beaucoup mieux ! Il a tout ce qu’il faut : équilibre, maturité optimale… Le 1961 était mythique, et je pense que le 2022 est du même niveau que les légendaires 1945 et 1929. Ce sont tous des millésimes d’exception. J’ai choisi d’orner l’étiquette du 2022 d’une œuvre d’artiste, en collaboration avec mon épouse qui a sélectionné l’artiste et conçu l’étiquette.

Est-ce la fin d’un chapitre ? Peut-être. Il faut aussi savoir passer la main, accepter que d’autres prendront la relève. J’ai eu la chance de vivre une belle aventure : mon premier métier a duré trois ans, celui-ci trente-trois ans. Qu’y a-t-il de plus beau que les relations humaines ? Être viticulteur est une chance, c’est un métier qui crée du lien. Mon père était convaincu que c’était la voie faite pour moi. Il ne s’est pas trompé, car je n’aurais pas pu être avocat, ni acteur. J’avais des qualités pour chaque métier, mais pas toutes les qualités. Pour le vin, j’ai eu la chance que le terroir de Desmirail s’exprime à ma place.  Je ne sais pas si je suis prêt à passer la main, mais je suis disposé à le faire. Transmettre, c’est essentiel, car celui qui succède doit pouvoir créer à son tour. C’est terrible d’arriver et de trouver que tout est déjà fait. Dans ce cas, il ne reste plus qu’à tout déconstruire pour reconstruire. À Desmirail, il reste encore des pages blanches, mais j’espère avoir laissé mon empreinte. Ensuite, quelqu’un d’autre écrira une nouvelle histoire.

 

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE«  davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.